Physique nucléaire.

Chapitre II: Noyau et isotopes.

II.C.  La carte des nucléides.

 

1) Description.

 

S’agissant de classer les différents noyaux qui existent dans la nature ou que nous pouvons former artificiellement, force est de constater que la table de Mendeleev, l’outil de base en ce qui concerne le classement des atomes, ne nous convient plus du tout. Son caractère périodique se réfère au remplissage progressif des couches électroniques, ce qui ne nous intéresse pas ici. Par ailleurs, s’il est vrai que chaque case de cette table nous informe directement quant au nombre de protons du noyau atomique, par contre le nombre de neutrons n’y apparaît pas directement, alors qu’il s’agit ici d’une donnée importante.

Le classement des noyaux se visualise par convention au travers d’une carte à deux entrées, où le nombre Z des noyaux représente l’axe vertical et le nombre N de neutrons l’axe horizontal. Attention : Il n’est pas rare de trouver la convention inverse, à savoir N en ordonnée et Z en abscisse ! On appelle cela la carte, ou charte, des nucléides.

Une fois cette disposition adoptée, il s’agit ensuite de préciser quelles sont, parmi les très nombreuses cases qui se présentent à nous, celles qui correspondent à des noyaux viables, en entendant par là non seulement ceux qui vivent indéfiniment mais également tous ceux qui ne vivent qu’un certain temps, fut-ce une fraction infime de seconde. Le tableau ci-dessous montre ce qu’il en est pour le tout début de la carte.

 

Début de la carte des nucléides, pour les tous premiers noyaux très légers.

 

La première ligne correspond à Z=0 et donc à des objets sans protons. Une seule case est occupée, à savoir celle du neutron libre (N=1), neutron isolé qui se déplace dans le vide ou au travers de la matière. Des agglomérats de deux neutrons ou plus n’existent pas.

Sur la seconde ligne, Z=1 pour toutes les cases. Tous les noyaux associés seront donc des noyaux d’hydrogène, la seule différence entre eux étant le nombre de neutrons. N=0 correspond à un noyau qui n’est fait que d’un proton. C’est de très loin le noyau d’hydrogène le plus abondant. Quand au proton on ajoute un neutron (N=1) on obtient le deutérium. C’est un hydrogène parfaitement stable qu’on trouve dans la nature à raison de 16 noyaux pour 100.000 atomes simples. La présence d’un atome de deutérium dans la molécule d’eau en fait ce qu’on appelle de l’eau lourde. Avec N=2 on obtient le tritium qui lui n’est pas un atome stable. On en trouve néanmoins des traces en proportion constante dans les hautes couches atmosphériques car il y est en permanence régénéré par des réactions nucléaires provoquées par les rayons cosmiques (particules de haute énergie provenant de l’espace). Au-delà de N=2 on ne trouve que quelques noyaux de temps de vie vraiment infime que nous ne prendrons pas en compte ici.

Pour Z=2, à savoir la ligne de l’hélium, on trouve l’hélium-3, très rare à l’état naturel, et l’hélium-4, la variété de très loin la plus abondante. Le noyau d’hélium-4 est remarquablement stable, ce qu’il doit à sa structure simple très symétrique en protons et neutrons (Z=2 et N=2). Dans le monde nucléaire il constitue un véritable « morceau dur » qui apparaîtra comme résidu dans bien des phénomènes nucléaires. Ce qu’on appellera « particule alpha » désigne en fait un objet identique à un noyau d’hélium-4.

Nous ne sommes là qu’au tout début de la carte. Pour un aperçu complet, le lecteur se référera utilement à des sites spécialisés, comme http://atom.kaeri.re.kr.

 

2) Définitions.

 

Des noyaux de même Z, donc de même symbole chimique, mais qui n’ont pas le même nombre de neutrons sont dits isotopes les uns des autres. Par exemple le deutérium et le tritium sont deux isotopes de l’hydrogène. Le mot est couramment employé dans un sens très large et a remplacé par exemple le mot nucléide, fort peu utilisé.

Des noyaux ayant le même nombre de neutrons mais des nombres de protons différents sont des isotones. A l’inverse du mot isotope, isotone est très peu rencontré, si ce n’est dans des travaux spécialisés. Il peut être oublié sans trop de conséquences.

Des isobares sont des noyaux de même nombre de masse. Dans la carte des isotopes, la condition Z+N=A=cst revient mathématiquement à une loi du type y+x=cst, ou y=-x+cst, autrement-dit une droite de pente -1. De ce fait les isobares s’alignent forcément sur une diagonale secondaire à 45°. C’est le cas dans la figure ci-dessus du tritium et de l’hélium-3.

Des isomères sont des états énergétiques différents d’un même noyau. On parle aussi volontiers d’états excités, par analogie avec l’atome. On devrait dire en principe « isomères nucléaires », tant le mot isomère est familier en chimie dans une autre acception, mais on s’épargnera cette précaution tant qu’il n’y a pas d’ambiguïté sur le mot.

 

Classification des noyaux selon leur alignement.

 

 

3) Régions peuplées et régions désertes.

 

Dans la carte des isotopes, toutes les cases ne sont pas occupées, loin s’en faut. C’est le moment de rappeler ce principe très général mais aussi très riche en compréhension des phénomènes : Tout système physique tend spontanément à adopter la configuration la plus basse possible en énergie potentielle. On peut donc être certains que les noyaux existants se localisent dans le plan des isotopes dans les régions de potentiel le plus bas possible ou en tout cas à proximité de celles-ci. De ce point de vue il existe en physique nucléaire une règle de base selon laquelle les noyaux présentant grosso modo autant de protons que de neutrons devraient normalement se voir privilégiés. Ces structures symétriques sont plus fortement liées que les autres, donc plus stables. Cette règle simple est effectivement vérifiée pour les noyaux légers : L’hélium-4 vu ci-dessus correspond à Z=N=2, le carbone le plus abondant est le carbone-12 (6 protons et 6 neutrons), … Toutefois au fur et à mesure qu’on s’élève dans la carte des isotopes, la règle de symétrie se voit peu à peu mise en défaut au profit des neutrons. Plus le noyau est lourd et plus il présente un excès de ceux-ci par rapport aux protons. Le déséquilibre devient même très important pour les noyaux très lourds. Par exemple, le seul isotope stable du bismuth est le bismuth-209 (Z=83, N=126), qui présente pas moins de 3 neutrons pour 2 protons. Les notions vues au chapitre II.B permettent de comprendre cela : L’attraction nucléaire de chaque nucléon est très forte avec ses voisins immédiats, beaucoup moins avec les nucléons appartenant au même noyau mais plus éloignés ; par contre la répulsion électrique agit à grande distance, donc au travers de tout le volume nucléaire. Plus le noyau est lourd, plus il est étendu et plus la répulsion tend à affaiblir la cohésion interne. Puisque cette faiblesse provient des protons, on comprend que les noyaux larges trouvent avantage à favoriser les neutrons, qui eux ne sont sensibles qu’à l’interaction forte.

En résumé, l’ensemble des isotopes se retrouveront dans une région qui pour les noyaux légers suivra la diagonale principale à 45°, pour laquelle Z=N, mais qui petit à petit décollera de cette droite et s’inclinera progressivement vers l’axe N.

 

Zone de stabilié des noyaux.