Physique pour la médecine

...la théorie!

Radiothérapie

Chapitre II: Faisceaux   externes.

II.D. Propriétés des faisceaux d'ions.

1) Concernant l'hadronthérapie.

 

En physique la famille des hadrons rassemble les particules qui sont sensibles à l'interaction forte et qui sont en fait constituées de quarks. Cela comprend les mésons (un quark et un antiquark) et les baryons (trois quarks). Les seuls membres de la famille qui existent de manière stable dans la matière sont les nucléons, le proton et le neutron, qui sont des baryons. Pour générer les autres il faut fournir au moins l'énergie E=mc² équivalente à leur masse, puis de l'énergie cinétique. Pour cette raison, le seul hadron autre que le nucléon dont on pourrait envisager l'usage pratique est le méson π, ou pion, de masse proche de 140MeV/c² (A l'origine d'ailleurs, le mot méson voulait dire "de masse intermédiaire entre l'électron et le proton", mais ce n'est plus ainsi qu'il faut le comprendre aujourd'hui). Il y a eu des études et même un début d'utilisation thérapeutique de faisceaux de pions, mais l'avenir dira si ce mode d'action peut se trouver un créneau intéressant.

Les faisceaux de neutrons ont été étudiés et utilisés en radiothérapie dès les années quatre-vingts, mais cette option s'efface aujourd'hui devant la solution protons étant donné que ces faisceaux sont plus difficiles à maîtriser et à conformer en dose. Par ailleurs la physique des interactions des neutrons est très différente de celle des particules chargées, avec des profils de dose très proches finalement de ceux des photons de haute énergie. Il est donc difficile d'y voir une technique apparentée à celle des autres hadrons.

Par contre il est d'usage en radiothérapie de voir comme hadrons les noyaux atomiques, ce qui n'est pas incohérent avec la définition de base. L'utilisation de cyclotrons ou de synchrotrons pour la production de faisceaux d'ions, ions plutôt légers dans le cas qui nous occupe, est maîtrisée depuis longtemps. Il y a eu ainsi quelques essais de thérapie basés sur l'hélium-4, en fait donc la particule alpha, mais c'est l'ion 12C qui semble le plus prometteur et qui est tout proche de suivre le proton en termes de centres d'application.

En résumé, le mot "hadronthérapie" couvre un champ assez large… qui en pratique se réduit pour certains auteurs aux ions légers, pour d'autres aux protons et aux ions 12C.

2) Faisceaux d'ions 12C.

Tout comme les protons, les faisceaux d'ions sont produits par un cyclotron ou par un synchrotron. Pour un ion carbone-12, on a Z=6 et A=12, ce qui veut dire que, par rapport à un proton, tout champ électrique est multiplié par 6 mais que l'inertie est multipliée par 12. Dans les éléments accélérateurs d'une part et dans les aimants de déviation d'autre part, Z et A se combinent selon des lois qui ne seront pas exposées ici (A même énergie de particules, par exemple, un aimant de déviation doit développer un champ plus intense pour dévier des ions carbone que pour dévier des protons).

Le comportement des ions légers dans la matière est tout à fait analogue aux protons, avec des nuances… et c'est dans ces nuances que se trouvent les éventuels arguments qui pourraient appuyer un développement séparé de l'ionthérapie. Ainsi, le pic de Bragg est nettement plus prononcé dans le cas des ions 12C, ce qui veut dire qu'à même dose dans le pic, on obtient moins de dépôt d'énergie dans les tissus qui précèdent. Le pic est aussi plus fin, ce qui a priori permet une meilleure précision. Par ailleurs, les ions étant plus lourds, ils sont encore plus difficiles à dévier que les protons lorsqu'ils progressent dans l'organisme, de sorte que le léger straggling (dispersion) observé pour le nucléon simple est ici quasi inexistant. En somme, c'est dans les trois dimensions que le pic de Bragg apparaît plus étroit, ce qui n'est pas nécessairement à l'avantage des ions carbone: Quand on veut colorier une figure au crayon, on ne choisit pas une pointe ultra fine!

En bout de parcours, après le pic, le TLE ne retombe pas à zéro mais présente ici une queue qui décroît lentement. On l'appelle queue de fractionnement parce qu'elle est le résultat de la brisure d'une partie des ions lorsqu'ils heurtent les noyaux atomiques rencontrés en chemin. Les ions carbone-12 par exemple peuvent ainsi se retrouver entre autres sous forme de carbone-11 qui, étant plus légers, ont un parcours plus long. En conséquence, les tissus sains au-delà de la tumeur ne sont pas complètement épargnés.

Pic de Bragg pour ions légers 

En définitive, si l'ionthérapie peut un jour concurrencer la protonthérapie, c'est sans doute dans son efficacité biologique relative qu'il faudra en trouver les raisons plutôt que dans la physique des interactions. Un ion carbone a un TLE très élevé, avec une densité d'ionisation par unité de parcours telle que la plupart des liaisons qui se trouvent sur son chemin se voient brisées (On en arrive d'ailleurs, le long d'une trajectoire donnée, à une situation de "overkilling", dont il résulte qu'il n'y a pas de raison d'envisager des traitements avec des ions plus lourds que le carbone ou peut-être l'oxygène). Cela ne veut pas dire que toutes les cellules exposées au faisceau seront touchées puisque cela dépend de la probabilité avec laquelle on pourra les retrouver sur le chemin d'un ion, probabilité qui dépend de la dose imposée. On est là dans un schéma complètement différent de ce qu'on connaît avec les faisceaux de photons par exemple, où les ionisations se produisent aléatoirement dans tout le volume et où les macromolécules biologiques ne sont souvent touchées qu'indirectement par des radicaux libres provenant de l'ionisation de l'eau. Il semble que tout n'aie pas encore été dit en termes d'efficacité biologique des ions et que des études soient toujours en cours pour l'évaluer. Pour en savoir plus, le lecteur intéressé se référera utilement à des sites plus orientés vers la biologie du problème.