Radioprotection |
Chapitre I: Interactions radiations-matière |
I.B Photons durs.
1)Ionisation indirecte.
On trouvera dans le sujet "radiologie conventionnelle", chapitre I.B, des rappels sur la nature des photons et le spectre électromagnétique. On y situe les rayons X, qui font partie de la composante dure du spectre, celle qui correspond à de hautes fréquences ou énergies et à de courtes longueurs d'ondes. En physique nucléaire, §III.A.3, on trouvera l'analogue pour les rayons gammas, qui appartiennent à la même famille.
La gamme des photons durs concernent la radioprotection en ce sens qu'ils sont ionisants. Elle commence en fait avec les ultra-violets (on sait que s'exposer au soleil n'est pas sans danger!) et se poursuit donc avec les rayons X et les rayons gammas. Ionisants, les photons durs le sont… indirectement. En effet, contrairement aux particules chargées qui dès leur entrée dans la matière peuvent agir à distance sur les électrons, les photons sont neutres électriquement et peuvent donc a priori pénétrer en profondeur sans que rien ne se passe (on rappellera ici que la matière est surtout faite… de vide!). Toutefois ils sont susceptibles à tout moment d'entrer ici ou là en interaction avec le milieu qu'ils traversent, au travers de divers phénomènes qui sont décrits ci-dessous et qui génèrent tous des particules chargées d'énergie plus ou moins haute, lesquelles particules chargées sont quant à elles directement ionisantes. Ces phénomènes étant purement aléatoires, ils peuvent parfois se produire très profondément, de sorte que du point de vue de la radioprotection il ne sera jamais question de se prémunir totalement de leurs effets mais plutôt de les réduire à un niveau acceptable. Ce sera vrai aussi pour le neutron, autre particule neutre de nature complètement différente.
2)Coefficient d'atténuation.
Les différents modes d'interaction décrits plus bas sont donc purement aléatoires. Chaque photon a à tout instant la même probabilité d'être ainsi absorbé… ou pas. Soit donc un faisceau mono-énergétique (tous les photons sont censés avoir la même énergie E), d'intensité initiale I0 et qui traverse un matériau homogène de densité ρ. La diminution d'intensité dI au travers d'une très petite épaisseur dx dépend de deux paramètres, dont l'un est évident puisqu'il s'agit de l'intensité I à l'entrée de la couche (pour un faisceau deux fois plus intense la perte d'intensité est double), et dont l'autre inclut les autres paramètres physiques: l'énergie des photons, la nature du matériau et sa densité. Ce deuxième paramètre est noté µ et est appelé coefficient d'atténuation, du photon d'énergie E dans le type de matière concernée.
Le coefficient massique d'atténuation est une grandeur associée à µ, définie par:
où ρ est la masse spécifique du milieu (l'unité est donc le m²/kg puisque µ est en m-1 et ρ en kg/m³). Cela revient à se libérer de la densité pour ne retenir que la nature du matériau. Ainsi, la vapeur d'eau, l'eau et la glace auront sensiblement le même ξ alors que le µ sera très dépendant de l'état physique. Dans les tables numériques de référence, c'est le plus souvent le coefficient massique qui est repris. Par contre dans les applications pratiques c'est bien sûr le coefficient linéaire qui intervient. En scanographie par exemple une image n'est rien d'autre qu'une cartographie des valeurs de µ moyennées sur chaque pixel.
Pour en revenir à l'équation dI/dx=-µI, sa solution est une exponentielle décroissante au départ de l'intensité initiale I0 et dont la caractéristique n'est autre que µ.
Cela veut dire que chaque fois que le faisceau traverse une épaisseur x=1/µ, son intensité décroît d'un facteur e=2,718
Pour les méticuleux: Partant de dI/dx=-µI, on a
Pour les intuitifs: On voit dans dI/dx=-µI que le taux de variation de I est proportionnel à I lui-même. Or la fonction mathématique telle que sa dérivée est proportionnelle à sa grandeur est une exponentielle. On le voit sur le graphe ci-dessus: La variation est rapide quand I est élevé et la variation est faible quand I est faible. Des grandeurs qui varient proportionnellement à elles-mêmes sont très fréquentes en sciences (cultures de bactéries, radioactivité, cinétique des réactions chimiques,…) ce qui est le secret du rôle de cette fonction dans bien des disciplines, et la raison pour laquelle on parle souvent d'exponentielle "naturelle".
3)Couche de demi-atténuation (CDA).
Le coefficient d'atténuation µ est le paramètre physique important mais il n'est pas facile à manipuler mentalement. S'y référer suppose la manipulation de facteurs e, nombre transcendant (!), ce qui ne fait pas problème en calcul informatique mais donne des sueurs froides en calcul mental. De ce fait il s'avère pratique de définir un autre paramètre, directement lié à µ mais beaucoup plus facile d'utilisation. Il faut noter qu'il s'agit là d'une démarche très fréquente en sciences, puisqu'encore une fois les exponentielles s'y rencontrent souvent (voir par exemple en physique nucléaire la décroissance radioactive où, partant du taux d'activité, on définit le temps de demi-vie, ou période).
Un facteur très simple à manipuler mentalement est le nombre 2. D'où la notion de couche de demi-atténuation CDA définie comme l'épaisseur de matière nécessaire pour atténuer de moitié de l'intensité du faisceau. Le lien avec µ est le suivant:
En effet, pour x=CDA on a par définition I=I0/2, et donc:
Et après simplification par I0:
Ainsi donc, lorsque le faisceau a traversé une fois la CDA son intensité est divisée par 2. Lorsqu'il a traversé deux fois la CDA elle a été divisée par 2²=4, et ainsi de suite.
Exemple: La CDA dans le plomb pour des gammas de 1MeV est de 8mm. Une brique de plomb de 5cm d'épaisseur est donc proche de six fois la CDA, ce qui permet une atténuation de 26=64.
Il arrive qu'en lieu et place de la CDA on utilise la notion d'épaisseur 1/10ème x1/10. Il s'agit de l'épaisseur nécessaire pour atténuer l'intensité d'un facteur 10.
Donc pour deux épaisseurs 1/10ème l'atténuation est de 100, et de 1000 pour trois fois cette épaisseur.
4)Modes d'interaction.
Le coefficient µ est une mesure globale de l'interaction des photons avec la matière qu'ils traversent. En fait il est la somme de plusieurs contributions correspondant chacune à un mode d'interaction différent:
µ = τ + σ + π + σ'
où les symboles τ, σ, π et σ' concernent respectivement l'effet photoélectrique, la diffusion Compton, la création de paires et la diffusion Thomson-Rayleigh.
a)Effet photoélectrique.
L'effet photoélectrique consiste en l'absorption totale du photon par un électron de la matière. Il est bien connu dans le cas du rayonnement ultra-violet où ce sont essentiellement les électrons libres des métaux, peu liés, qui sont concernés et où il est à la base du fonctionnement des cellules du même nom. Des photons plus durs comme les rayons X et les rayons gammas peuvent quant à eux agir sur des électrons atomiques malgré le fait qu'ils soient beaucoup plus fortement liés. La quantité d'énergie absorbée par l'électron est telle qu'il peut non seulement s'arracher de l'atome mais qu'il lui reste ensuite suffisamment d'énergie pour se déplacer dans la matière environnante et y générer de l'ionisation tout au long de son trajet comme expliqué au chapitre précédent (interactions des particules chargées avec la matière). On voit là qu'en ce qui concerne cet effet les photons sont de fait indirectement ionisants.
Le coefficient d'atténuation τ de l'effet photoélectrique varie comme Z4/Eγ3 où Z est le nombre atomique du matériau et Eγ l'énergie du photon. Le coefficient massique τ/ρ varie comme Z3/Eγ3. On voit là que ce type d'interaction est surtout important pour les éléments lourds et que par ailleurs il décroît rapidement quand l'énergie augmente. Cette rapide variation connaît toutefois des sauts brusques vers le haut. Pour expliquer ces flancs d'absorption, comme on les appelle, on peut imaginer le chemin inverse et voir ce qui se passe lorsque l'énergie diminue: A très haute énergie les photons sont capables d'éjecter tous les électrons d'un atome, aussi profondément liés soient-ils. Quand l'énergie décroît, il arrive un moment où tout à coup elle n'est plus suffisante pour arracher les électrons les plus fortement liés, à savoir ceux de la couche K. Cela revient à fermer une des voies possibles d'absorption et c'est pourquoi τ présente une chute brutale qu'on appelle le flanc d'absorption K ("K-edge"). Si l'énergie continue à descendre, il arrive un moment où ce sont les électrons L qui ne peuvent être ionisés, d'où un nouveau saut dans la probabilité d'absorption, et ainsi de suite.
Le schéma suivant montre ce qu'il en est pour le molybdène. La courbe représente en fait le coefficient massique total ξ=µ/ρ, mais les flancs d'absorption proviennent de la composante photoélectrique τ.
Lorsque l'effet photoélectrique enlève un électron d'une couche intérieure d'un atome, la place laissée vide est très vite réoccupée par un autre électron venu d'une couche supérieure, qui laisse à son tour une place vide… Le réarrangement qui s'ensuit s'accompagne, comme dans toute cascade électronique, de l'émission de rayons X caractéristiques de l'atome concerné. L'émission de rayons X est le cas le plus fréquent, mais il arrive que l'énergie de transition soit transmise directement à un électron des couches supérieures qui se verra à son tour libéré de l'atome et projeté à haute vitesse dans le milieu avoisinant. Ces électrons, dits "électrons Auger", peuvent participer à l'ionisation globale.
b)Diffusion Compton.
Il s'agit de l'interaction d'un photon avec un électron peu lié auquel il communique une partie (variable) de son énergie. Dans le cas des rayons X ou gammas l'électron le plus souvent reçoit suffisamment d'énergie que pour se détacher de l'atome et s'en aller ioniser le voisinage. Il subsiste un photon plus mou que le photon incident diffusé sous un angle θ. La différence Δλ entre la longueur d'onde initiale λi et la longueur d'onde finale λf est directement liée à θ selon la loi:
L'énergie du photon diffusé et celle de l'électron Compton sont données par:
où ε=hν/mec² est l'énergie du photon normalisée à la masse de l'électron.
Le coefficient d'atténuation σ, qui est la contribution au µ total ne varie que lentement avec Z. Le coefficient massique σ/ρ en est indépendant. La variation avec l'énergie du photon incident n'est pas simple. L'effet est absent à basse énergie, il apparaît vers 10 keV puis augmente rapidement pour devenir dominant à 100keV et très au-delà. Vers 1Mev il devient quasiment le seul mode d'interaction des photons puis il décroît lentement pour s'annuler aux très hautes énergies.
Du point de vue de la radioprotection l'ionisation provoquée par l'électron Compton n'est qu'un des éléments à prendre en compte, l'autre étant le problème que représente le photon diffusé. En effet celui-ci peut se propager dans le milieu, puis le cas échéant atteindre les personnes ou les objets situés dans le voisinage, et y interagir à son tour par effet photoélectrique ou Compton. Le fait que l'angle d'émission soit assez quelconque lui donne un côté imprévisible, étant entendu que lorsqu'on a affaire à une production abondante de Compton on s'attend à ce qu'il affecte tout le voisinage dans toutes les directions. En quelque sorte le problème de la diffusion provient surtout de son caractère… diffus!
c)Création de paires.
De même qu'un positron et un électron peuvent s'annihiler pour donner de l'énergie pure (§I.A.7), de l'énergie pure, à savoir un photon, peut disparaître pour créer une paire électron-positron. Ce n'est pas étonnant au regard de la loi E=mc², qui établit l'équivalence entre masse et énergie, mais qu'il faut donc compléter en précisant que si une particule sans masse prétend faire apparaître une particule de matière elle doit obligatoirement, pour des raisons de symétrie créer aussi la particule-miroir d'antimatière.
Etant donné que le photon doit au minimum créer les masses de l'électron et du positron, toutes deux de 511keV/c², il doit donc au moins posséder une énergie de 1,022MeV, valeur seuil en dessous de laquelle le phénomène est impossible. Si l'énergie est plus élevée, le surplus est partagé équitablement en énergie cinétique pour les deux particules. Cette condition minimum repousse très loin la possibilité de voir apparaître d'autres paires que la paire électronique. La particule massive la plus légère après l'électron est le muon qui fait tout de même 106MeV, ce qui place le seuil à 212MeV, très au-delà des champs d'application en médecine.
Une fois créés, l'électron et le positron se comportent comme décrit au chapitre I.A: Tous deux iront ioniser la matière sur leur trajet, ce qui démontre encore une fois le caractère indirectement ionisant des photons durs. Par ailleurs le positron connaîtra en bout de course une annihilation en deux gammas de 511keV.
Partant de zéro au seuil de 1,022MeV, la probabilité de production de paire augmente très rapidement avec l'énergie du photon. En ce qui concerne le nombre atomique Z du matériau atténuateur, le coefficient linéaire d'atténuation π varie en Z² et le coefficient massique π/ρ varie en Z.
d)Diffusion de Thomson-Rayleigh.
On parle parfois ici de diffusion cohérente, ou encore de diffusion élastique. Il s'agit de la part du photon d'interagir avec un électron de la matière pour se voir dévier de sa trajectoire mais sans échange d'énergie cette fois, ce qui fait la différence avec l'effet Compton. Puisqu'il n'y a pas d'échange d'énergie il n'y a pas apparition d'électron ionisant. Il n'empêche que comme pour l'effet Compton le photon diffusé pourra se propager dans l'environnement pour éventuellement y être absorbé en produisant un photoélectron ou un électron Compton.
L'angle de diffusion est toujours faible, mais puisque l'effet enlève de l'intensité au faisceau initial il participe à l'atténuation de celui-ci. Sa contribution au µ total est notée σ'. Elle varie en Z2/Eγ2, tandis que σ'/ρ varie en Z/Eγ2.
La probabilité d'une diffusion de ce type est faible en comparaison des autres modes d'interaction. Dans la plupart des applications médicales la proportion est de l'ordre de quelques pourcents.
Les diffusions Thomson et Rayleigh sont très apparentées. La seule différence est que la première concerne l'interaction avec des électrons libres alors que la seconde concerne l'interaction avec des électrons atomiques
e)Réactions photo-nucléaires.
Les photons très durs peuvent provoquer des réactions nucléaires du genre (γ,n) ou (γ,p), telles que l'absorption du gamma par le noyau provoque l'éjection d'un neutron ou d'un proton. Le noyau résiduel, qui est le noyau de départ dépouillé d'un neutron ou d'un proton, est souvent radioactif.
Le seuil de ces réactions est de quelques MeV pour la plupart des noyaux, de sorte que le phénomène est inexistant en radiologie et plutôt négligeable en médecine nucléaire. Par contre il est abondant et fait problème aux hautes énergies typiques de la radiothérapie, et cela à deux titres: D'abord en raison des neutrons générés lors de la réaction, ensuite à cause de la radioactivité des noyaux résiduels. Les neutrons en particulier sont pénétrants et risquent de ce fait d'affecter non seulement la salle de traitement mais également les locaux avoisinants. Cela explique par exemple la conception de portes spéciales incorporant du borate d'hydrogène, qui est un ralentisseur et un absorbeur de neutrons.
5)Energie déposée.
L'importance des dégâts provoqués par les photons durs dans le milieu traversé est liée au nombre d'ionisations provoquées indirectement, comme on l'a vu, par les photoélectrons, les électrons Compton ou les paires particule-antiparticule (On oubliera ici le cas particulier des réactions nucléaires). Le tout se mesure au travers de l'énergie déposée dans la matière par l'ensemble des événements. Le spectre associé à cette énergie déposée présente deux composantes principales: Une première partie qui est continue et qui s'étale depuis E=0 jusqu'à s'approcher de le valeur limite Eγ (Rappelons l'hypothèse de départ selon laquelle tous les photons incidents ont la même énergie Eγ); une seconde partie qui a la forme d'un pic centré sur Eγ. Il apparaît parfois sur la partie continue d'autres pics de tailles variables qu'on appelle les pics d'échappement.
La partie continue provient de la diffusion Compton. Dans une réaction de ce type, l'énergie du photon est partagée entre l'électron Compton et le rayon diffusé. Le partage peut se faire de toutes les façons possibles et donc l'électron en reçoit une partie qui peut être faible ou élevée. Or dans les cas où le photon diffusé s'échappe sans interagir, c'est l'énergie de l'électron seul qui se disperse dans la matière.
Le pic centré sur Eγ est le pic des événements tels que la totalité de l'énergie se voit absorbée dans le milieu. Il comprend les événements photoélectriques, à condition que les rayons X de réarrangement soient eux aussi absorbés. Il comprend aussi les diffusions Compton pour lesquelles le photon diffusé a lui aussi été absorbé, par effet photoélectrique par exemple. Ou encore des créations de paires, lorsqu'elles sont possibles et à condition que les deux photons d'annihilation du positron soient absorbés.
Des pics d'échappement apparaissent lorsque des rayons X ou gammas d'énergie précise ont la possibilité de sortir du matériau sans interagir. Par exemple lorsque la création de paires est présente on trouvera deux pics d'échappement, l'un à Eγ-511keV pour les événements où un des photons d'annihilation du positron emporte son énergie hors du milieu,
l'autre à Eγ-1022keV pour les événements où ce sont les deux photons d'annihilation qui s'évadent.
Selon la valeur de Eγ et selon la nature du matériau absorbeur, l'importance relative du continuum et du pic d'absorption totale peut considérablement varier. Le pic peut apparaître très élevé ou au contraire très réduit, et il en est de même de la partie continue. Cela dépend en grande partie de la prépondérance de l'effet photoélectrique ou de la création de paire par rapport au Compton. A ce sujet on propose souvent le graphe suivant, qui visualise les régions en Eγ et en Z (nombre atomique de l'absorbeur) où chacun de ces trois grands types d'interaction l'emporte sur les autres.