Radioprotection |
Chapitre III: Dosimétrie. |
III.A. Grandeurs dosimétriques.
La dosimétrie est la discipline qui s'attache à mesurer les effets des rayonnements dans la matière, en particulier dans les tissus biologiques. De nombreuses grandeurs ont été définies dans ce but, dont les principales sont reprises ci-dessous. Etant donné que les dégâts causés au niveau moléculaire par les particules sont liés à leur pouvoir ionisant, direct ou indirect (Ch.I), et que chaque ionisation demande de l'énergie, ce chapitre fait la part belle à des nombres de paires d'ions, des énergies perdues par des faisceaux ou déposées dans la matière, quantités soit mesurées en absolu dans un volume donné soit rapportées à des surfaces ou à des temps.
1)Fluence et flux.
Lorsqu'un faisceau traverse une surface dS, supposée petite, qui lui est perpendiculaire, la fluence radiative de ce faisceau est le nombre de particules incidentes dN divisé par dS. La formule peut s'appliquer à un nombre de photons aussi bien qu'à un nombre de particules chargées.
Pour une surface macroscopique, il s'agit de prendre la moyenne de l'expression ci-dessus:
Le cas particulier où le faisceau est homogène sur toute la surface donne simplement Φ=N/S.
Le flux de particules est la fluence par seconde. Il s'agit donc d'un nombre de particules par cm² et par seconde.
La fluence énergétique, d'unité J/cm², est la quantité d'énergie emportée par le faisceau au travers de S. Si E est l'énergie des particules d'un faisceau supposé mono-énergétique, on a
Le flux énergétique ψ est la fluence énergétique ramenée à la seconde. C'est cette quantité qui peut être aussi appelée intensité I du faisceau.
L'unité est le joule par cm² et par seconde, mais étant donné qu'une énergie par seconde correspond à une puissance il est fréquent d'utiliser plutôt le watt/cm².
Pour un faisceau qui présente une distribution continue en énergie, il y a lieu de tenir compte de la distribution en énergie dN/dE et d'intégrer l'intensité sur l'ensemble du spectre.
Ces notions interviennent par exemple en radiologie conventionnelle avec pour faisceau celui des rayons X générés par le tube. Dans cet exemple, on les évalue au niveau de la surface d'entrée du corps humain (voir "Radiologie conventionnelle", ChIV.B)
2)Exposition.
L'exposition est une grandeur qui évalue le pouvoir ionisant dans l'air des rayons X et γ. Elle se limite donc aux photons durs, en précisant que même pour ceux-ci la notion d'exposition ne peut guère être appliquée au-delà de 3MeV, région pour laquelle il devient difficile d'évaluer les ions secondaires formés en dehors du volume de mesure
La définition initiale de l'exposition était le nombre de paires d'ions générés par unité de volume d'air, mais elle s'est ensuite plutôt basée sur la quantité de charge (en Coulombs) par variété d'ions (positifs ou négatifs) et par unité de masse, le kg d'air, ce qui est définitivement le cas aujourd'hui.
L'ancienne unité d'exposition était le Röntgen, correspondant à l'apparition de 2,1 109 paires d'ions par cm3. L'unité actuelle, dont l'usage est fortement recommandé et qui bien entendu se base sur le système SI, est le coulomb/kg d'air. Exposition par m3 ou exposition en C/kg se transforment facilement l'un vers l'autre en utilisant la densité de l'air dans les conditions standards, soit 1,293kg/m3 et la charge d'un ion 1,6 10-19 C.
1R = 2,58 10-4 C/kg
N.B.: Malgré les recommandations visant à éviter son usage, il faut reconnaître que l'unité Röntgen fait de la résistance dans la pratique courante, un peu comme le Curie tarde à s'effacer devant le Bequerel pour mesurer l'activité d'une source (voir "physique nucléaire", §III.B.2). Ce ne sera pas le cas pour les grandeurs qui suivent ci-dessous, où le Gray a définitivement remplacé le rad, et le Sievert le rem. Le fait que certaines unités nouvelles s'imposent ainsi facilement alors que d'autres tardent à le faire s'explique sans doute par la facilité plus ou moins grande qu'il y a à passer de notions historiques, bien ancrées dans les usages, vers d'autres moins familières. Utiliser mentalement le facteur de conversion du Röntgen vers le C/kg, ou du curie vers le bequerel, n'est pas évident alors que le facteur 100 qui permet de passer du rad au Gray ne demande pas de calculatrice. On a connu la même transition rapide dans les bulletins météo, où le millibar se dit maintenant hectopascal sans qu'il soit besoin de changer autre chose.
La grandeur "exposition" a longtemps bénéficié de deux avantages: D'abord elle est facile à mesurer puisqu'un détecteur à gaz rempli d'air en donne une évaluation directe; il y a ensuite le fait que l'air est composé d'azote et d'oxygène, ce qui lui confère un nombre atomique moyen très proche de celui des tissus biologiques, cible de la radioprotection. A l'heure actuelle toutefois son usage tend à se restreindre.
3)Kerma.
Le kerma est l'acronyme de "kinetic energy released in matter". Il s'applique à tout type de particules.
Soit un faisceau traversant un corps matériel de masse Δm: Par définition le kerma est la quantité d'énergie perdue dans cette traversée, par unité de masse du corps. Si We est l'énergie entrante et Ws celle qui subsiste à la sortie, l'énergie perdue vaut ΔW=We – Ws, et de là:
L'unité SI de kerma est le Gray. Il correspond à une perte de 1J par kg. L'ancienne unité est le rad, qui valait 0,01J/kg, cent fois moins donc que le Gray. Le rad a fait bien de l'usage autrefois et se rencontrera donc inévitablement dans des publications plus anciennes.
1Gy = 1J/kg = 100 rad
4)Dose absorbée.
Considérant comme ci-dessus un faisceau traversant un corps de masse Δm, la dose absorbée D est définie comme la quantité d'énergie déposée par le faisceau dans ce corps… et seulement dans ce corps. Pour faire la différence avec le kerma, le schéma ci-dessous présente trois événements de diffusion Compton où l'énergie en provenance du photon est distribuée par ionisation tout le long du trajet de l'électron Compton. Pour l'événement 1, le parcours de l'électron s'inscrit complètement dans l'objet étudié, de sorte que la totalité de l'énergie W1 s'y trouve absorbée. En 2, l'électron débute sa trajectoire dans l'objet mais la termine à l'extérieur. Dans ce cas seule la partie W2 déposée à l'intérieur intervient dans la dose absorbée. En 3 enfin, l'électron est généré à l'extérieur mais termine sa course à l'intérieur, apportant ainsi à D une contribution W3. Dans le kerma les énergies 1 et 2 interviendraient entièrement, puisque perdues par le faisceau dans sa traversée du corps (il faudrait même y ajouter l'énergie des photons diffusés), alors que 3 ne serait pas du tout pris en compte puisque le photon n'a pas atteint l'objet et ne fait donc pas partie du faisceau entrant. En somme, dans la traversée de Δm le kerma revient à prendre le point de vue du faisceau alors que la dose absorbée adopte celui du corps matériel.
L'unité de dose absorbée est identique à l'unité de kerma: Anciennement le rad (0,01J/kg), actuellement le gray (1J/kg).
5)Dose équivalente.
Si la dose absorbée peut encore se concevoir pour des matériaux inertes, la dose équivalente s'intéresse définitivement aux milieux biologiques, objet de la radioprotection. On considère ici que pour un même apport d'énergie par ionisation, les conséquences chimiques ou biologiques ne sont pas les mêmes selon qu'on ait affaire à des photons, à des électrons, des particules alphas ou encore des neutrons, que donc il y a lieu de tenir compte de la nature du rayonnement. En particulier, le TLE, transfert linéaire d'énergie, intervient ici de façon cruciale: Au niveau cellulaire, une forte densité d'ionisation telle que l'impose des particules alphas peut provoquer des dégâts importants et irréversibles, alors que le TLE plus faible d'un électron dilue l'énergie sur une distance plus longue, ce qui peut se révéler plus supportable pour chaque cellule prise individuellement.
La dose équivalente est égale à la dose absorbée multipliée par un facteur de pondération wR, parfois appelé facteur de qualité, qui dépend de la nature des particules concernées.
H = wR D
Si l'irradiation provient de plusieurs sortes de particules, il s'agit de sommer sur toutes les contributions DR de chaque variété.
Les valeurs de wR sont données dans le tableau ci-dessous.
|
wR |
X |
1 |
Gammas |
1 |
Electrons |
1 |
Protons |
5 |
Neutrons |
10 |
Alphas |
20 |
Ions lourds |
20 |
L'unité moderne pour H est le sievert, qui correspond à une dose absorbée de 1Gy et un facteur de pondération égal à 1
1Sv = 1 x 1Gy
L'ancienne unité était le rem, abréviation de "Röntgen equivalent man", dont la valeur est de 0,01Sv, tout comme on avait ci-dessus 1rad=0,01Gy.
6)Dose efficace.
La dose efficace tient compte de ce que selon la nature des tissus et organes irradiés les risques à moyen et à long terme, en particulier les risques de cancer, ne sont pas les mêmes. Les gonades (risque: stérilité) par exemple, ou encore le cristallin (risque: cataracte) se révèlent beaucoup plus sensibles au rayonnement que d'autres parties du corps humain. Il s'agit alors d'affecter la dose équivalente reçue par un tissu d'un facteur de pondération wT qui résulte d'une évaluation du risque lié à ce tissu. Etant donné qu'un irradiation concerne toujours une partie plus ou moins large du corps humain, la dose efficace doit être sommée sur l'ensemble des parties exposées.
L'unité pour E est la même que pour la dose équivalente, soit le sievert Sv. Les valeurs actuellement admises pour wT sont reprises dans le tableau ci-dessous. Elles proviennent de la publication CIPR 103, recommandation 2007 de la Commission Internationale de Protection Radiologique, l'une des références principales en la matière.
Tissu |
wT |
ΣwT |
Moëlle osseuse, côlon, poumons, estomac, sein, tissus restants |
0,12 |
0,72 |
Gonades |
0,08 |
0,08 |
Vessie, œsophage, foie, thyroïde |
0,04 |
0,16 |
Surface osseuse, cerveau, glandes salivaires, peau |
0,01 |
0,04 |
|
Total: |
1,00 |
Dans ce tableau, l'appellation "tissus restants" désigne l'ensemble des tissus qui ne sont pas explicitement nommés. On remarquera par ailleurs que la somme de tous les coefficients de pondération doit valoir 100%.
7)Débit de dose.
Les doses équivalente et efficace évaluent les risques de type stochastique et à long terme consécutifs à une irradiation excessive mais étalée sur une période plutôt longue. Le syndrome d'irradiation aigüe, qui implique des lésions graves, inéluctables et à court terme, est quant à lui à prendre en compte pour des doses élevées amassées sur un court laps de temps. Cela vient de ce que les cellules ont à leur disposition des moyens d'autoréparation qui sont de nature à réparer bien des dommages pour peu qu'ils n'apparaissent pas trop brusquement. Si des dégâts trop importants sont imposés à une cellule en une seule fois, elle peut en mourir avant de pouvoir mettre en œuvre ces mécanismes de défense. Pour évaluer ce type de risque, le débit de dose est le paramètre important. Par définition il s'agit de la dose reçue par unité de temps. Le débit de dose équivalente s'exprime en Gy/s et le débit de dose efficace en Sv/s (Il s'agit là des unités officielles compatibles avec le système d'unités SI; en pratique on utilise souvent des Gy/h ou Sv/h).