Physique nucléaire. |
Chapitre II: Noyau et isotopes. |
II.B. La force nucléaire.
1) Caractéristiques.
Nous connaissons la force électrique et ses caractéristiques. Par exemple nous savons que deux charges de même signe se repoussent et que cette force varie en l’inverse du carré de la distance. Donc si nous rapprochons les deux charges d’un facteur 2, la répulsion est quatre fois plus élevée ; si nous les rapprochons d’un facteur 10, c’est 100 fois plus intensément qu’elles se repoussent. Or nous savons aussi que, dans un noyau, des charges de même signe, à savoir les protons, coexistent à des distances aussi courtes que le fermi, qui vaut 10-15m . Dans une telle situation, les forces doivent être absolument énormes et, soyons en sûrs, elles le sont ! Puisque ces forces énormes ont tendance à disloquer la structure, on a du mal à comprendre comment un noyau peut malgré tout garder son intégrité. La réponse tient en la présence, dans le noyau, d’une force « autre », la force nucléaire, appelée aussi interaction forte, ce qu’elle est à coup sûr puisqu’elle parvient à vaincre la répulsion entre protons.
La physique connaît quatre forces fondamentales : La gravitation, la force électromagnétique, l’interaction forte et l’interaction faible. Les deux premières sont bien connues ; nous venons d’introduire la troisième ; quant à la quatrième elle ne se manifeste qu’au travers d’un seul phénomène, la radioactivité bèta, qui sera vue précisément dans le chapitre suivant. Beaucoup de physiciens ont l’espoir que ces quatre forces se voient un jour unifiées en une seule et même théorie, la « théorie de grande unification ». Il faut noter à ce sujet que l’électromagnétisme est déjà une théorie unifiée de deux forces qui paraissaient très différentes autrefois, à savoir l’électricité et le magnétisme. L’interaction faible les a rejointes dans les années septante-quatre-vingts pour former ce qu’il est convenu d’appeler la théorie électrofaible. Einstein lui-même a passé les dernières décennies de sa vie à tenter l’unification de la gravitation et de l’électricité… en vain ! Il est trop tôt pour dire de la grande unification qu’elle correspond à la réalité, mais il est certain qu’elle motive bien des personnes et justifie bien des programmes de recherche.
De la force nucléaire on se contentera de donner ici les trois caractéristiques principales :
a) Elle est attractive pour tous les nucléons: Protons et neutrons s’attirent les uns les autres, ce à quoi on s’attendait puisque cette force s’oppose à la répulsion électrique. A noter que la gravitation est elle aussi uniquement attractive mais elle est quant à elle universelle alors qu’au niveau des particules les électrons par exemple sont insensibles à l’interaction forte.
b) C’est une force très intense, ce à quoi on s’attendait aussi puisque la force électrique est vaincue même à cette échelle. Pour nuancer la chose, et pour mettre un chiffre derrière cette notion d’intensité, on estime qu’au niveau du noyau la force nucléaire est environ cent fois plus élevée que son opposant électrique. Un facteur 100 c’est à la fois important, ce qui explique la stabilité des noyaux pas trop lourds, mais tout bien considéré pas si élevé que cela: Lorsque se forment des noyaux de plus en plus lourds, l’attraction nucléaire reste grosso-modo constante (elle n’agit en effet qu’à très courte distance : voir le point c ci-dessous) alors que la répulsion électrique n’arrête pas de croître de par l’accumulation des protons. Pour des noyaux de plus en plus lourds, il arrive un moment où les forces de dislocation l’emportent à nouveau, ce qui explique tout simplement pourquoi… la table de Mendeleev a ses limites, qu’on situe actuellement un peu au-dessus de Z=115.
c) C’est une force de très courte portée: Elle n’agit qu’à des distances de l’ordre du fermi et disparaît au-delà. Ceci la distingue complètement de la gravitation et de l’électricité, qui portent quant à elles… à l’infini. On compare parfois la force nucléaire à une sorte de colle dont seraient enduits les nucléons : Pour que la colle prenne, il faut que les objets se trouvent l’un contre l’autre.
2) Energie potentielle nucléaire.
Comme il n’est pas question d’entrer ici trop en profondeur dans la physique nucléaire, on trouvera dans ce paragraphe une notion extrêmement utile pour comprendre la plupart des phénomènes qui nous seront utiles dans la suite : radioactivité, formation des isotopes, … Il s’agit de la notion d’énergie potentielle nucléaire.
La notion d’énergie potentielle est bien connue dans les domaines plus familiers de la gravitation et de l’électromagnétisme. Pour ce qui est de la gravitation, le lecteur se rappellera peut-être ses cours d’humanités et la formule Ep=mgh (...en fait une différence d’énergie potentielle). En électricité l’unité « volt », très familière, mesure des différences de potentiel électrique, notion qui dérive directement de celle d’énergie potentielle. Ce qu'il est important de souligner ici c’est que dans les deux cas, lorsqu’un système évolue spontanément, donc sans apport extérieur, c’est forcément parce qu’il a trouvé un moyen de diminuer son énergie potentielle. Lorsqu’un objet tombe, il le fait spontanément et on peut dire que c’est parce qu’il ressent l’attraction gravitationnelle de la terre, mais de façon tout aussi pertinente on peut dire que c’est parce qu’en tombant il diminue son énergie potentielle. Lorsque deux charges électriques de même signe se mettent spontanément à s’éloigner l’une de l’autre, on peut dire que c’est parce qu’elles obéissent à la force de répulsion électrique, mais on peut dire aussi que c’est parce que, ce faisant, le système se détend et diminue ainsi l’énergie potentiellement disponible.
La tendance de tout système à évoluer spontanément vers une situation plus « stable » à savoir plus basse en énergie potentielle est l’une des lois les plus générales de la nature, qu’on pourrait appeler « loi de paresse maximum » !
Ce qu’il est demandé d’admettre ici sans autre démonstration, mais ce qui se révélera extrêmement utile dans la suite, c’est l’idée que ce qui vaut pour la gravitation et l’électricité vaut également pour le nucléaire :
1°) A la force qui lie les nucléons dans un noyau on peut associer une énergie potentielle, l’énergie potentielle nucléaire.
2°) Tout noyau, quel qu’il soit, tendra toujours à minimaliser son énergie potentielle : S’il trouve le moyen de le faire, il le fera spontanément. On trouvera là ni plus ni moins que le secret de la radioactivité !
3) Barrière coulombienne.
Comme toute énergie de liaison, l’énergie potentielle nucléaire est négative. Il est d’ailleurs d’usage de parler à ce sujet de « puits de potentiel » nucléaire. Au travers de E=mc² il apparaît que cette énergie négative est de nature à diminuer la masse totale du noyau ; un noyau a une masse inférieure à la somme des masses de ses constituants protons et neutrons ! On estime qu’en moyenne l’énergie de liaison d’un nucléon est de -8MeV environ. Comparé aux 938 MeV/c² de masse des nucléons, nous sommes là avec un effet de l’ordre du pour-cent, ce qui n’est pas négligeable : Tout objet que nous prenons en main est plus léger de un centième pour cause de E=mc². Une balance de précision modeste pourrait ainsi tester la théorie de la relativité !
Par ailleurs comme la force nucléaire ne joue qu’à très courte distance alors que la force électrique porte très loin, fusionner un proton avec un noyau ou fusionner deux noyaux n’est pas une chose facile. A supposer par exemple qu’un proton soit envoyé vers un noyau en vue de provoquer une réaction nucléaire : Ce proton sera soumis tout au long de son approche à une répulsion électrique de plus en plus élevée, répulsion qui deviendra franchement énorme à proximité immédiate de l’objectif. On comprend que pour réaliser une fusion nucléaire, une réaction nucléaire, former un nouvel isotope… tous processus qui demandent que le proton atteigne le puits de potentiel nucléaire et y tombe, cela suppose qu’il possède au départ une très grande énergie. La barrière à franchir, représentée dans le schéma ci-dessous est appelée barrière coulombienne. Vaincre la barrière coulombienne justifie qu’on ait recours dans le domaine qui nous occupe à des accélérateurs de particules parfois très puissants (Dans le soleil les noyaux, soumis à des températures énormes, possèdent des énergies thermiques très élevées, suffisantes que pour leur permettre de vaincre les répulsions électriques et fusionner)