Radiothérapie |
Chapitre II: Faisceaux externes. |
II.B. Propriétés des faisceaux d'électrons.
1)Formation du faisceau
Les linacs, dont la technologie est exposée au chapitre III, permettent normalement d'accélérer des électrons sous plusieurs valeurs d'énergie allant de quelques MeV à 20 ou 25MeV. Le faisceau de sortie est un pinceau fin, et ce même après passage par la fenêtre de sortie de la machine, plaque qui isole de l'air extérieur le volume interne où règne le vide. Pour parvenir à traiter une surface convenable au niveau du patient, on peut songer à guider ce pinceau selon deux directions x et y, comme cela se fait dans les anciens tubes TV de type cathodique où partant d'un point source on éclaire tout l'écran, à ceci près que nous sommes ici à un tout autre niveau d'énergie et que les champs magnétiques capables de dévier les particules sont autrement élevés. La préférence va alors à un élargissement du pinceau électronique par passage au travers d'un diffuseur, simple plaque métallique de Z plutôt élevé (une particule légère est facilement déviée par un noyau lourd) où, par collisions dans la matière, les électrons voient leur trajectoire plus ou moins déviées et où donc les trajectoires parallèles de départ se voient éclatées dans un cône d'émission vers l'avant. Un diffuseur comprend normalement une deuxième plaque situé à quelque distance de la première: Entre les deux plaques le premier cône tend à s'ouvrir, par simple propagation géométrique, et sur la deuxième plaque chaque point d'impact génère à son tour un nouveau cône d'émission. Il est à noter que le passage au travers de cet élément s'accompagne d'une perte d'énergie pour les électrons ainsi que de l'émission vers l'avant de rayonnement de freinage, peu abondant mais bien présent.
Le diffuseur est monté sur un barillet où se trouve également la cible servant à générer un faisceau de rayons X, cible de tungstène plus épaisse quant à elle. La rotation de ce barillet permet de passer du mode photons au mode électrons, et inversement.
A vrai dire les cônes d'émission générés par le diffuseur ne sont pas proprement définis, et ce à cause de la très faible masse des électrons, qui est telle qu'une seule collision peut induire une déviation très sévère. A la sortie du diffuseur on obtient donc un faisceau grossièrement orienté dans la bonne direction mais aussi des particules émises un peu dans tous les sens. C'est à la collimation qu'il revient de nettoyer le faisceau et de lui conférer une forme propre lorsqu'il atteindra le patient. En mode électrons le collimateur principal est suivi de ce qu'on appelle l'applicateur, sorte de colonne qui descend de la tête de la machine vers le patient, simplement fait de deux ou trois plaques percées d'un carré ou d'un rectangle qui permettent chacune d'éliminer un peu du diffusé généré en amont, ce qui évoque les diaphragmes multiplans et autres localisateurs utilisés en radiologie.
L'applicateur permet d'obtenir au niveau de la peau un faisceau de géométrie simple, proprement carré ou rectangulaire, mais il peut aussi être équipé à l'étage le plus bas d'un collimateur personnalisé percé d'un trou dont la forme a été étudiée spécialement pour le cas traité.
2)Transfert d'énergie
a.Interactions
L'électron est une particule chargée qui, de par la force électrique, ressent à distance attractions ou répulsions de la part d'autres particules chargées. Dès lors, quand un électron pénètre un milieu matériel, il interagit directement et en permanence avec les électrons atomiques et les noyaux qui composent ce milieu, ce qui se traduit par une perte progressive de son énergie. Par opposition, la règle de base pour les rayons X ou γ est une progression sans perte d'énergie jusqu'à interaction de type Compton ou autre qui intervient de façon purement aléatoire selon des règles de probabilité décrites par ailleurs.
Les interactions avec les électrons et les noyaux sont de type élastique ou de type inélastique (…en rappelant qu'une collision élastique est une collision qui conserve l'énergie cinétique totale du système: la somme des énergies cinétiques à la sortie est égale à la somme des énergies cinétiques à l'entrée).
Les collisions inélastiques des électrons du faisceau avec les électrons atomiques provoquent l'excitation des atomes ou leur ionisation. La perte d'énergie, ou encore le côté inélastique du phénomène, vient de ce qu'il faut donner à l'électron atomique pour le porter vers un niveau haut ou pour l'arracher à l'atome. Il faut souligner que si l'excitation/ionisation est ici directe, elle se retrouve en fait présente indirectement dans les autres modes d'interaction et représente ni plus ni moins que l'outil de base de la radiothérapie!
Les collisions élastiques avec les électrons de la matière se font entre particules de même masse, ce qui s'apparente à ce qu'on peut observer au niveau macroscopique entre deux boules de billard. A priori le transfert d'énergie peut être complet: On connaît au billard la collision frontale où la boule projectile de vitesse v s'arrête net alors que la boule cible est projetée vers l'avant avec la même vitesse v… sauf que pour ce qui nous occupe cela n'a pas d'intérêt: La physique ne voit pas de différence entre l'état initial et l'état final puisque dans les deux cas on retrouve un électron au repos et un électron de vitesse v. Pas de différence non plus entre un transfert qui serait, par exemple de 75% et un autre qui serait de 25%, et c'est pourquoi on considère en général que le transfert d'énergie maximal est ici E/2. Toujours est-il que dans l'état final on retrouve en général deux particules chargées de haute énergie, donc directement ionisantes.
On peut assimiler à des collisions quasi-élastiques les situations fréquentes où l'électron cible est peu lié et ne demande donc que peu d'énergie pour se libérer de l'atome. Dans tous les cas, que la collision soit élastique et inélastique, les particules projectile et cible sont envoyées dans des directions autres que la direction d'incidence. Quand la cible est projetée avec une énergie suffisante pour ioniser à son tour le milieu, on parle d'électron secondaire, ou de rayon delta.
L'expression "rayon delta" est historique et date de l'époque où les physiciens découvraient une série de phénomènes nouveaux qu'ils ne maîtrisaient pas encore et qu'ils ont appelés dans l'ordre: rayons alpha, bêta, gamma… delta… on a même connu des rayons "epsilon" qui sont en fait des électrons tertiaires dans les collisions C'est par la suite qu'ils comprirent que les trois premiers étaient fondamentaux et liés à la radioactivité, ce qui n'était pas le cas des suivants. On recommande aujourd'hui de parler d'électrons secondaires mais "rayon delta" reste très utilisé.
Les collisions avec les noyaux se font entre un objet de masse faible et un objet lourd, ce qui se traduit par une déviation du projectile léger alors que la cible reste essentiellement immobile. Comme le projectile dévié est chargé le phénomène est a priori inélastique puisqu'il doit y avoir émission vers l'avant de rayonnement de freinage, ou Bremsstrahlung. Ce rayonnement peut se voir très vite réabsorbé mais il peut aussi franchir de longues distances et emporter ainsi au loin une partie de l'énergie de départ.
b.TLE et pouvoir d'arrêt.
(N.B.: On trouvera dans le sujet "radioprotection", ch.I.A, les formules dites de Bethe-Bloch, détaillées mais assez complexes, qui décrivent le pouvoir d'arrêt de la matière sur les particules chargées)
Le paramètre de base qui décrit le dépôt d'énergie de particules chargées dans la matière est le TLE, transfert linéaire d'énergie, ou encore quantité d'énergie dE/dx déposée par le faisceau par unité de longueur franchie. Ce paramètre connaît des variantes dans la façon de le définir, mais quand on lui attribue tous les modes de transmission de l'énergie il est égal à ce que les physiciens appellent le pouvoir d'arrêt (stopping power) du milieu. Le pouvoir d'arrêt est souvent divisé par la masse spécifique ρ du milieu, ce qu'on appelle le pouvoir d'arrêt massique, car ainsi libéré de la densité il varie souvent peu d'un matériau à l'autre:
S(E), qui s'exprime en MeV/(g/cm²) est en plus peu dépendant de l'énergie. Ainsi pour les électrons on peut retenir la valeur approchée de 2MeV.cm²/g dans toute la gamme qui intéresse la radiothérapie. Dans l'eau et dans tous les tissus biologiques de masse spécifique proche de 1g/cm3, cela donne un pouvoir d'arrêt simple de 2MeV/cm.
Le parcours R(E) est une estimation de la distance franchie par la particule chargée depuis son point d'entrée jusqu'à son arrêt dans la matière. On le calcule en intégrant S(E) depuis l'énergie de départ E0 jusqu'à E=0.
Les particules lourdes comme le proton dévient peu de leur trajectoire lorsqu'ils progressent dans la matière, de sorte que l'énergie qu'ils déposent est assez constante avec la distance de pénétration. Dans leur cas, R(E) représente assez bien la profondeur finalement atteinte par la majorité des particules lorsqu'elles s'arrêtent. Pour les électrons par contre la situation est plus compliquée parce que ces particules très légères sont régulièrement déviées dans leur progression et que dès lors R(E) ne représente la profondeur finale atteinte que pour une faible fraction de ces particules. Etant donné que la radiothérapie s'intéresse avant tout à la distribution d'énergie en profondeur, le cas des électrons demande donc une description plus détaillée, ce qui fait l'objet du prochain paragraphe.
Il est important de constater ici que dans la gamme de quelques MeV à 20 ou 25MeV, un faisceau d'électrons ne peut agir efficacement au-delà de quelques centimètres en profondeur dans l'organisme. En radiothérapie on l'utilise donc essentiellement pour des régions à traiter proches de la surface. Par comparaison, la dose délivrée par des photons est maximale au départ mais elle reste importante en profondeur: On peut donc agir plus loin… tout en s'inquiétant de l'effet de surface (On songe bien sûr ici à la stratégie des feux croisés basée sur la rotation du faisceau).
c.Profil de dose
Mesuré sur l'axe central du faisceau qui pénètre la matière, le dépôt d'énergie commence à une valeur assez haute (1), remonte ensuite légèrement jusqu'à une valeur maximum (2), pour décroître ensuite rapidement (3) jusqu'à une valeur basse qu'il conserve en profondeur (4).
La valeur haute en surface (1) traduit le caractère directement ionisant des électrons. Les forces coulombiennes, d'attraction ou de répulsion, agissent dès l'entrée et entraînent du transfert en énergie par les différentes voies évoquées au §b.
L'augmentation de D observé ensuite jusqu'à un maximum (2) s'explique par la facilité avec laquelle des particules très légères voient leurs trajectoires déviées. Si on imagine un cylindre étroit centré sur l'axe du faisceau, les trajectoires au départ parallèles à la direction d'incidence s'inclinent progressivement sous l'effet de la diffusion de sorte que pour une même progression dx en profondeur la distance moyenne dl franchie par les électrons s'accroît, et avec elle le nombre d'ionisations.
On a vu que pour les photons la dose de surface rapportée à la dose maximum diminue avec l'énergie. C'est l'inverse qui se produit avec les électrons car ici les particules de basse énergie sont plus faciles à dévier que celles de haute énergie, de sorte que dans le premier cas les chemins s'incurvent dès l'entrée alors que dans le second cas ils restent plus longtemps orientés vers l'avant.
La décroissance rapide (3) marque la région où les particules arrivent en bout de course, effet accentué encore une fois par la diffusion qui entraîne une dispersion des trajectoires et donc une diminution de la densité d'ionisation.
Le socle (4) provient du Bremsstrahlung généré vers l'avant par le faisceau lorsqu'il traverse le diffuseur puis les premières couches de matière.
Il n'est pas aisé de caractériser un profil de dose de ce type par un paramètre unique. La physique s'intéresse souvent à un parcours typique des particules concernées, qui pourrait s'approcher de la définition mathématique donnée ci-dessus au §b. On définit ainsi Rmax, le point où la queue de la courbe rejoint la valeur de socle, qui correspond physiquement à la plus grande profondeur possible atteinte par des électrons, mais qui n'est pas facile à mesurer. On peut aussi utiliser Rp, parcours "pratique", qui correspond au point d'intersection de la tangente au point d'inflexion avec le socle de la courbe.
La radiothérapie quant à elle s'intéresse plutôt à la région où la dose déposée reste élevée et donc apparaît efficace, et on parlera alors de R90 ou de R80, profondeurs auxquelles la dose absorbée descend respectivement aux 90% ou 80% de sa valeur maximum.
3)Courbes isodoses
Fort pratiques pour visualiser la distribution de dose en dehors de l'axe central, les courbes isodoses sont elles aussi marquées par la diffusion importante qui affecte les électrons. Au départ l'énergie du faisceau reste élevée, les trajectoires sont peu déviées et les courbes isodoses relativement planes même si elles apparaissent quelque peu bombées vers l'avant pour des pourcentages de dose de 90% ou 80%. Ensuite les particules se dispersent peu à peu et transportent de plus en plus l'énergie en dehors de la zone d'incidence, ce qui donne aux courbes, pour des doses de quelques dizaines de pourcent, un aspect très ballonné sur les flancs. La figure ci-dessous évoque la situation pour des faisceaux de 2MeV et de quelques centimètres de côté à l'entrée.
Dans le but d'adapter le traitement aux situations particulières, la distribution de dose peut-être modelée de différentes manières. Dans le plan parallèle à la peau, on a longtemps utilisé des collimateurs personnalisés dont la forme s'adapte au mieux à la section de la région à traiter (partie gauche du schéma ci-dessous). A l'heure actuelle on leur préfère les collimateurs multilames, plus souples dans leur usage et qui surtout peuvent s'adapter en temps réel à une rotation du faisceau autour du patient.
Pour agir sur la troisième dimension, on peut recourir à l'usage d'un bolus, à savoir un cache d'épaisseur variable placé à même la peau ou à proximité immédiate, et qui permet de moduler le profil en énergie des particules qui atteignent la peau (partie droite du schéma ci-dessus). Là où l'épaisseur est faible il y a peu d'effet, tandis que là où l'épaisseur est plus importante les électrons sont ralentis et pénètrent l'organisme avec une énergie moindre, ce qui se traduit par une modification de la distribution de dose. Ces caches peuvent être construits au départ d'accessoires aux formes géométriques nettes et prédéfinies, mais il peut aussi s'agir d'objets personnalisés qui s'adaptent autant que possible aux cas particuliers.