Radiothérapie |
Chapitre II: Faisceaux externes. |
II.C. Propriétés des faisceaux de protons.
1) Formation du faisceau.
Les faisceaux de protons sont produits par des cyclotrons ou des synchrotrons, machines dont le principe est exposé par ailleurs. Il s'agit là d'équipements d'un autre ordre de grandeur que les linacs utilisés pour générer des électrons ou des rayons X, ce qui ne les rend accessibles en pratique qu'aux centres hospitaliers de grande taille. La protonthérapie comme la neutronthérapie ont d'ailleurs débuté dans des centres de recherche en sciences physiques qui voyaient là une application intéressante de leur expertise. Dans les années 90 et au début du siècle sont apparus des systèmes compacts et économes en énergie, conçus au départ pour la production de radio-isotopes mais qui ont permis très vite d'entrevoir une extension relative de ce type de radiothérapie. C'est le couplage de ces innovations avec les récents et remarquables progrès de l'imagerie médicale qui fait qu'à l'heure actuelle (écrit en 2013) la protonthérapie apparaît comme une technique particulièrement efficace et à l'avenir prometteur.
Un cyclotron dédié à cet usage peut monter typiquement à 230 ou 250MeV en énergie proton. A 250MeV le parcours des protons dans l'eau est de 38cm. A 200MeV il est de 26cm, ce qui convient déjà pour des traitements très en profondeur. Il est de 15,8cm à 150MeV, 7,7cm à 100MeV et 2,2cm à 50MeV. Le courant faisceau peut atteindre quelques
centaines de nanoampères.
Contrairement à un linac, où le faisceau extrait est envoyé en ligne droite vers le patient, les protons doivent quant à eux être guidés sur un trajet parfois sinueux de quelques mètres ou quelques dizaines de mètres vers la salle de traitement, ou même aiguillés vers l'une des salles de traitement si le service en comporte plusieurs. Le transport doit se faire dans un tube où règne le vide car dans l'air les nombreux chocs subis par les protons feraient rapidement perdre ses propriétés au faisceau. La ligne de transport est équipée de quadrupôles magnétiques, qui servent à refocaliser le faisceau là où il a tendance à s'élargir, ainsi que d'électro-aimants dont le rôle est de le dévier et l'orienter dans la direction souhaitée.
(Les particules chargées soumises à un champ magnétique subissent en effet une force perpendiculaire à la fois au champ et à leur vecteur vitesse, ainsi qu'on le décrit dans tous les cours de physique de base. Si un électro-aimant peut être vu comme un dipôle magnétique fait de deux bobines disposées de part et d'autre de la ligne de transport, un quadrupôle est quant à lui fait de quatre bobines disposées à angle droit les unes des autres, deux pôles nord en vis-à-vis et deux pôles sud en vis-à-vis. Un quadrupôle a la propriété de focaliser le faisceau dans une des deux directions transverses à la direction de propagation et de le défocaliser dans l'autre direction transverse. Pour le refocaliser complètement dans le plan transverse, il faut un ensemble de deux quadrupôles ou plus, un peu à l'image (mais selon un principe différent) des systèmes de lentilles optiques qui alignent des lentilles convergentes et divergentes pour obtenir le résultat souhaité. (Pour une description plus détaillée, voir le Ch.III.D)
A l'arrivée dans la salle de traitement, les particules forment un pinceau étroit, pinceau sur lequel il faut agir pour traiter un volume d'une certaine étendue… et d'une certaine complexité. Avant de voir comment cela peut se faire, il convient de décrire la manière dont se comportent les protons qui progressent dans l'organisme.
2)Transfert d'énergie
En tant que particules chargées, les protons ionisent la matière dès l'entrée et tout au long de leur parcours. Le paramètre qui caractérise ce comportement est le TLE, transfert linéaire d'énergie, qui exprime la quantité d'énergie déposée par unité de longueur (par exemple, le TLE à 200MeV est de 0.45MeV/mm) et qui provient directement du paramètre "pouvoir d'arrêt" dE/dx de la matière sur les protons. Ce transfert continu provoque un ralentissement progressif des particules jusqu'à arrêt complet, la longueur de trajectoire entre le point d'entrée et le point d'arrêt étant par définition ce qu'on appelle le parcours, dont on a donné quelques valeurs au paragraphe précédent. Si tout cela ressemble à ce qui a été dit pour les faisceaux d'électrons au chapitre II.B, la grande différence de masse entre les deux types de projectiles se marque en définitive par une grande différence en termes de progression globale dans la matière.
Pour ce qui est des chocs avec les nombreux électrons du milieu traversé, on avait affaire au chapitre II.B à des projectiles de même masse alors qu'ici les projectiles sont deux mille fois plus lourds. S'il est vrai que dans tous les cas ces chocs font perdre de l'énergie aux projectiles, en excitations atomiques et en ionisations, par contre des protons ne seront pratiquement pas déviés de leur chemin, là où des électrons étaient facilement renvoyés dans une autre direction.
En ce qui concerne les chocs avec les noyaux atomiques, la différence de masse ne joue plus, ce qui de temps à autre affecte l'une ou l'autre trajectoire, mais l'atténuation globale du faisceau qui en résulte reste faible. Après 10cm de parcours dans l'eau par exemple, le nombre de protons soustraits de l'ensemble est d'environ 11%.
Contrairement donc à un faisceau d'électrons où les trajectoires sont régulièrement et aléatoirement déviées et se terminent ainsi à des profondeurs très variables, dans un faisceau de protons la grande majorité des particules gardent des chemins parallèles, ralentissent peu à peu au même rythme et s'arrêtent dans la même région, à une profondeur égale au parcours correspondant à leur énergie de départ. En particulier, elles expriment toutes au même endroit une des caractéristiques du pouvoir d'arrêt, à savoir une remontée drastique à basse énergie, donc en fin de parcours. Cela se marque dans le TLE par un pic marqué en termes d'énergie déposée dans la zone distale (pic de Bragg).
En pratique il faut tout de même compter avec d'inévitables fluctuations statistiques à tous les niveaux: Un léger straggling (déviations des particules) latéral élargit un peu le faisceau dans le plan transverse, et les points d'arrêt des protons se distribuent sur une faible tranche en profondeur. Cela n'est pas sans intérêt car il en résulte que le pic de Bragg s'étend sur quelques millimètres dans les trois dimensions et se présente ainsi comme un spot de dépôt d'énergie d'un certain volume, spot qui fait tout l'intérêt de la protonthérapie. Ce point est développé au paragraphe suivant.
3)Conformation de la dose.
Le principe de base de la thérapie est d'accélérer les protons sous une énergie telle que le pic de Bragg se forme sur la zone frontière distale (la plus éloignée) de la tumeur, de sorte que les tissus sains situés au-delà sont tout à fait épargnés. Il n'en va pas de même pour les tissus sains situés en deçà, mais d'une part la dose qu'ils reçoivent est réduite par rapport à la région du pic, et d'autre part, lorsque la technique le permet, on peut faire appel à la stratégie des feux croisés en distribuant le traitement sur deux angles d'attaque ou plus, de préférence des directions à angle droit ou à 180° pour limiter les chevauchements en dehors de la zone cible (Le dilemme à résoudre est classique: Vaut-il mieux imposer une dose raisonnable mais non négligeable à un volume donné de tissus sains, ou descendre vers des doses plus faibles mais en augmentant le volume irradié?).
A l'intérieur de la zone à traiter, il s'agit ensuite de faire reculer peu à peu le pic de Bragg vers la limite proximale de la tumeur, de manière à homogénéiser la dose utile. Pour cela on utilise un modulateur de parcours, ensemble d'absorbeurs d'épaisseurs différentes qu'on place l'un après l'autre sur le chemin du faisceau: Chaque absorbeur ralentit les protons d'une certaine quantité, de sorte que leur énergie à l'entrée du corps est diminuée et leur parcours réduit d'autant.
Parmi de nombreuses variantes, un modulateur de parcours assez typique se présente sous forme de roue, où des secteurs vides laissent passer l'énergie nominale, et où des rayons en forme de gradins se chargent de ramener vers l'arrière le pic de Bragg.
Si on convient de voir deux parties distinctes dans l'énergie déposée par les protons, à savoir un pic de haute intensité en bout de course et un plateau relativement constant avant cela, on comprend que les pics de Bragg ramenés vers l'arrière doivent être d'intensité moindre puisqu'ils se superposent aux plateaux de dose des pics plus profonds. L'intensité associée à un parcours dépend du temps pendant lequel l'absorbeur correspondant passe devant le faisceau. Si un absorbeur donné passe deux fois moins de temps dans le faisceau qu'un autre absorbeur, le parcours associé au premier sera deux fois moins intense que le parcours associé au second. Dans le cas d'une roue modulatrice de parcours qui tournerait continûment le temps relatif pour chaque épaisseur dépend de sa largeur angulaire.
Il reste à maîtriser le dépôt de dose dans les deux directions transverses à la direction de propagation. A ce sujet, on a connu des systèmes statiques mais ce sont les systèmes dynamiques qui semblent avoir la cote aujourd'hui.
Dans un système statique on élargit le faisceau en le faisant passer par un diffuseur fait de fines couches d'un élément lourd, par exemple 0,5mm de plomb. Les collisions des protons avec des noyaux lourds les dévient plus efficacement que les noyaux légers qui composent les tissus mous de l'organisme. On utilise aussi un collimateur qui adapte la section transverse à la silhouette projetée de la région cible. On termine par un bolus, ou compensateur, adapté aux variations en profondeur de cette région cible (comme vu en II.B, un bolus est un absorbeur d'épaisseur variable, qui en somme joue ici le rôle de modulateur de parcours dans le plan transverse).
Dans un système dynamique on n'agit ni sur la forme ni sur l'extension du faisceau, mais on le dévie au moyen de deux électro-aimants. En faisant varier le champ magnétique imposé aux protons on peut les guider avec précision dans les deux directions transverses. On obtient ainsi un balayage d'une tranche en profondeur indépendamment de la complexité de sa forme. Modulation de parcours dans la direction longitudale et balayage magnétique dans le plan transverse: Le fait de pouvoir déplacer ainsi dans les trois dimensions le spot d'énergie représenté par le pic de Bragg en contrôlant précisément la dose déposée confère à la technique une remarquable efficacité.
Il faut souligner que tout cela est rendu possible grâce aux performances atteintes aujourd'hui par l'imagerie médicale qui permet de numériser avec précision la localisation et la forme 3D du volume cible. Les portiques de protonthérapie actuels sont équipés de systèmes d'imagerie embarqués qui permettent un contrôle permanent du positionnement du patient et un suivi en temps réel du traitement.