Tomodensitométrie (scanner) |
Chapitre III: Dosimétrie |
III. Dosimétrie CT.
1) L'index de dose CTDI.
Une convention partout admise propose comme outil de base en dosimétrie CT deux fantômes cylindriques en plexiglas, tous deux de 15cm de longueur, et de 32cm de diamètre pour le premier, censé évoquer un corps adulte, de 16cm de diamètre pour le second, à associer soit à une tête d'adulte soit à un corps d'enfant. Ces fantômes sont percés sur la longueur de trous de 10mm de largeur destinés à recevoir des détecteurs crayons pour la mesure du rayonnement. Il doit y en avoir au moins un au milieu et quatre autres répartis symétriquement en périphérie. Lors d'un test en routine, le fantôme se pose à même la table patient, les quatre trous périphériques étant disposés à 12h, 3h, 6h et 9h selon la référence horlogère classique.
On trouve aussi des fantômes de forme ovale qui simulent mieux une section de corps humain et conviennent mieux aux tendances actuelles de fonctionnement du tube en intensité modulée, mais il ne semble pas qu'il existe à ce jour un véritable consensus quant à la forme et aux dimensions exactes de l'ovale.
Un détecteur crayon composé d'un certain nombre de petits capteurs thermo-luminescents (partie haute du dessin ci-dessous. Pour le principe de la thermoluminescence, voir le sujet "radioprotection", Ch.II.D), exposé au faisceau d'un tube tournant dans un plan unique et collimaté sur une épaisseur de coupe S, permet de dessiner la distribution selon z de la dose de rayonnement à l'endroit où il se trouve puisque chaque petit capteur permet somme toute d'estimer un point de cette distribution. On observe bien sûr un pic dans la tranche directement exposée au faisceau. La largeur à mi-hauteur de ce pic correspond à l'ouverture du collimateur en amont du fantôme, mais dans une situation correcte cette ouverture est réglée sur celle du collimateur en aval, qui définit l'épaisseur de coupe S. En dehors du pic, la distribution présente des flancs qui décroissent lentement et qui en valeur de dose sont loin d'être négligeables. Ils proviennent du rayonnement Compton qui diffuse au travers du matériau et parvient à atteindre des régions éloignées de la ligne directe du faisceau. Ils sont présents même en périphérie puisqu'un point qui se trouverait en surface pour une position du tube paraît en profondeur pour toutes les autres positions (Par exemple, le détecteur situé à 12h observe de la diffusion lorsque le tube se trouve à 3h).
En routine toutefois, le détecteur crayon est une chambre d'ionisation unique de 10cm de longueur centré sur la coupe de largeur S (partie basse du dessin ci-dessus). Il enregistre donc globalement la dose délivrée de -5cm à gauche jusqu'à +5cm à droite, ce qui revient à une intégrale sur la courbe ci-dessus. Normalisée à une charge tube de 100mAs et à l'épaisseur de coupe S, cette intégrale définit le CTDI, index de dose généralement admis comme paramètre de base en dosimétrie CT et exprimé en mGray/mAs
En multicoupe, mode largement en usage aujourd'hui, la largeur de collimation est donnée par NS, où N est le nombre de coupes enregistrées simultanément.
[
A vrai dire, la course au multicoupe s'est accélérée au point d'en arriver à des largeurs de collimation qui approchent ou même dépassent les 100mm, ce qui fait problème pour ce qui est de la définition standard du CTDI. Dans ce cas, la tendance semble être à l'usage d'un facteur de correction basée sur des mesures prises par la chambre d'ionisation en dehors du fantôme (dans l'air donc), l'une avec la grande largeur de collimation NS, l'autre avec une collimation de référence plus étroite, choisie vers les 40mm:
]
Il reste un problème d'inhomogénéité dans les mesures fournies aux différents endroits prévus pour le détecteur dans le fantôme. Ainsi, la dose à 6h peut être jusqu'à 10% plus faible qu'ailleurs à cause de l'absorption dans la table. La dose au centre du fantôme de 32cm de large peut, elle, être de 40% inférieure à la dose en périphérie, compte tenu de l'épaisseur d'absorption dans le plexiglas (le rayon de 16cm) qui est importante sous tous les angles d'émission du faisceau, alors qu'en périphérie l'exposition en ligne directe est très élevée et l'emporte sur la forte absorption lorsque le tube est en opposition (pour le petit fantôme de 16cm large par contre la mesure au centre est très comparable aux mesures sur le pourtour). Pour tenir compte de cette inhomogénéité, on convient généralement d'une valeur de CTDI pondérée comme suit:
…où le CTDI de périphérie est habituellement pris dans la position "12h".
Le CTDI est un paramètre objectif, normalisé et reproductible, qui offre le grand avantage de permettre des comparaisons entre modèles de scanner et modes de fonctionnement (kilovolts, pitch, nombre de coupes, …). Par contre il ne rend pas compte de la dose véritablement reçue par un patient particulier, compte tenu de sa morphologie et de sa corpulence, de l'extension en longueur et du temps de scan, ou encore de la nature des organes exposés. Le CTDI relève du contrôle de qualité mais ne représente qu'une étape en termes de radioprotection et de contrôle du rayonnement. La suite de ce chapitre traite des quelques étapes supplémentaires qui ont pu être franchies dans la très difficile démarche vers une évaluation de la dose reçue pour chaque cas particulier, difficulté qui ne vient pas seulement d'une recherche des paramètres les plus pertinents en la matière, mais aussi de l'obligation de les voir accepter comme tels par tout un chacun.
2) Pitch et longueur de scan.
Soit une acquisition séquentielle sur un grand nombre de coupes exactement contiguës, donc sans chevauchement ni espace qui les sépare. Alors, le CTDI est une bonne mesure du rayonnement reçu globalement à l'intérieur d'une tranche, en direct et par diffusion. En effet, si nous considérons une tranche particulière, il faut ajouter au rayonnement direct le rayonnement diffusé en provenance de la coupe voisine, puis de la suivante et ainsi de suite, comme le montre la partie gauche du schéma ci-dessous. Mais ainsi que le montre la partie droite du schéma, la contribution à une tranche n°1 du diffusé provenant de la tranche voisine n°2 est égale à la contribution de la n°1 à la n°2. De même, la contribution à 1 provenant de 3 est égale à la contribution à 3 provenant de 1. On voit ainsi que l'intégrale complète sur une courbe de diffusion, ce qui est la définition du CTDI, mesure la dose globale distribuée dans une coupe particulière.
En mode hélicoïdal, une progression de la table avec un pitch p=1 ne montre ni vide ni chevauchement dans l'exploration du volume, ce qui en termes de distribution de la dose s'apparente de très près au mode séquentiel avec coupes contiguës. Le CTDI peut donc être interprété de la même manière que ci-dessus. On considère qu'un pitch supérieur à l'unité p>1 dilue d'autant la dose dans le volume scanné, et que par contre un pitch inférieur à l'unité p<1 concentre la dose en proportion. Tenir compte du pitch enlève au CTDI son caractère général, normalisé, mais le rapproche de la dose délivrée spécifiquement lors d'une mesure particulière. Tant qu'à faire, on fera également intervenir la charge Q émise par le tube, autre paramètre spécifique de chaque mesure et qui influence directement la dose globale (on se rappellera que jusqu'ici le CTDI était normalisé à 100mAs). Cela donne le CTDI volumique, exprimé en mGray:
Une information supplémentaire vient de la longueur de scan L, donc de l'extension du volume exposé (pour un scan de 15cm par exemple, le volume exposé est plus grand que pour un scan de 10cm). Cela donne le produit dose-longueur, ou DLP pour "dose-lenght product", dont l'unité est le mgray.cm.
3) Dose efficace.
Partant de la DLP, il reste l'étape délicate du passage de la physique à la biologie, de la prise en compte des caractéristiques propres au patient (corpulence, morphologie) et de la nature des organes exposés. En radioprotection on définit la notion de dose efficace, mesurée en Sievert, censée tenir compte de la dose absorbée par chaque organe, mesurée en Grays, en la pondérant par un facteur lié à la radiosensibilité, ou risque de développer un cancer, typique de chaque tissu concerné. Il est difficile d'en avoir une estimation correcte pour chaque mesure particulière puisque le résultat dépend non seulement du réglage utilisé (kV, ampèrage, pitch), mais aussi des particularités anatomiques de chaque personne (la graisse par exemple est protectrice de l'intérieur en ce qu'elle absorbe une partie du rayonnement entrant), et même du jeu de positions par lesquelles passe le tube (point de départ et d'arrivée du scan, différence d'épaisseur du corps lors de la rotation). La piste suivie pour atteindre cet objectif passe par le calcul Monte Carlo[1] , qui peut en temps réel simuler bien des situations différentes. Une étape intermédiaire, aujourd'hui très généralement admise, utilise des fantômes anthropomorphiques auxquels on applique le calcul Monte Carlo pour passer de la DLP à une dose efficace… estimée!
Contrairement aux fantômes cylindriques simples décrits au §1 ci-dessus, un fantôme anthropomorphique est beaucoup plus complexe puisqu'il doit non seulement évoquer une forme humaine mais contenir en plus des éléments qui simulent les principaux organes radiosensibles. Il y a mille et une façons d'imaginer cela, et c'est le rôle des grands organismes de contrôle, principalement européens et américains, d'imposer en la matière des standards acceptés par tous. Les fantômes standards forment des familles où on trouvera typiquement un représentant "adulte" de chaque sexe, un "enfant" et un "nouveau-né". La figure ci-dessous montre la famille ORNL (Oak Ridge National Laboratories) promue par différents instituts internationaux (d'après W.A.Kalender: voir bibliographie). A noter que dans une approche mathématique de type Monte Carlo, de tels fantômes ne nécessitent pas d'être matérialisés mais seulement décrits précisément en nature et en dimension.
Le résultat le plus marquant de l'application du calcul Monte Carlo aux fantômes anthropomorphiques est la publication de facteurs de conversion k qui permettent de passer de la DLP (en mGy-cm) à une dose efficace DE estimée (en mSv) selon la formule:
DE = k DLP
Le tableau ci-dessous reprend une série de valeurs (en mSv/mGy-cm) généralement admises et utilisées internationalement, en notant bien que chaque valeur concerne non seulement une région anatomique précise mais aussi des paramètres de fonctionnement (kV,…) et une longueur de scan "standards" (valeurs pour un fantôme "adulte", selon Deak et al., "Gender- and age-specific conversation factors used to determine the effective dose from the dose-lenght product for multislice CT protocols", Radiology 257 158-66)
Région corporelle |
k = DE/DLP (mSv/mGy-cm) |
Tête |
0,0020 ≈ 1/500 |
Cou (ORL) |
0,0053 ≈ 1/200 |
Thorax |
0,019 ≈ 1/50 |
Abdomen |
0,017 ≈ 1/60 |
Bassin |
0,016 ≈ 1/60 |
Les doses efficaces obtenues restent typiques d'un fantôme standard… et non pas d'un patient humain avec toutes ses particularités, tout en lui apportant malgré tout une estimation valable de l'exposition encourue. Elles ont en outre l'avantage de permettre des comparaisons entre techniques et/ou méthodes, et de permettre aussi, pour un même patient, des additions cohérentes de doses reçues lors d'examens de natures différentes: un examen de thorax, suivi d'un examen de la tête, et ainsi de suite… peuvent être cumulés de manière fiable en une dose globale.
[1] Le calcul Monte Carlo utilise un générateur de nombres aléatoires pour suivre pas à pas un événement et décider de son sort. Dans ce qui nous occupe, on imaginera un rayon X qui pénètre le corps et traverse, par exemple, une couche de graisse d'épaisseur donnée. On décidera de façon aléatoire s'il y est absorbé… ou pas, et, s'il est absorbé, selon quel processus cela se fait (photoélectrique ou diffusion). La probabilité que cela se passe ou ne se passe pas dépend bien entendu du coefficient d'absorption µ des rayons X dans le tissu en question (Supposons par exemple que la probabilité d'absorption soit de 10%: On génère un nombre aléatoire compris entre 0 et 1; si le nombre est plus petit que 0,1 on considérera que le rayon X est effectivement absorbé. Sinon il poursuit sa route). Si le rayon X n'est pas absorbé, le calcul décide de son sort dans l'organe suivant, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il disparaisse effectivement ou qu'il sorte du corps. Un calcul valable suppose qu'on génère ainsi un très grand nombre de rayons X de manière à ce que le résultat final soit statistiquement significatif et simule bien un faisceau réel.