Médecine Nucléaire |
Chapitre I: Marqueurs. |
I.B. Production des isotopes.
1)Cyclotron
La première façon de produire des isotopes est d'envoyer des noyaux à énergie élevée vers d'autres noyaux cibles afin de provoquer une réaction nucléaire dont le résultat sera le radionucléide recherché. Les noyaux projectiles sont plutôt légers, proton ou hélium mais aussi carbone ou azote, alors que les noyaux cibles peuvent couvrir toute la gamme des masses, du plus léger au plus lourd. L'énergie élevée est obligatoire pour vaincre la barrière coulombienne (voir "Physique nucléaire", §II.B.2), ce qui suppose l'usage d'un machine accélératrice de particules. Il y a deux façons d'accélérer les particules, soit en utilisant des cavités résonantes, comme le font les accélérateurs d'électrons dans les hôpitaux, soit plus classiquement en les plongeant dans une différence de potentiel, donc dans un champ électrique, comme le fait le tube à rayons X. Dans ce dernier cas, si on veut obtenir des énergies vraiment élevées il faut obligatoirement agir par étapes successives, chaque étape permettant d'accroître un peu plus la vitesse des projectiles. Cela peut mener à des machines de longueur impressionnante. Au début des années 1930, E.O.Lawrence a eu l'idée d'adjoindre un champ magnétique au champ électrique accélérateur, ceci dans le but d'incurver les trajectoires, et même de les refermer sur-elles-mêmes de façon à obtenir des machines compactes plutôt que tout en longueur. Ce fut la naissance du cyclotron, dont nous donnons ci-dessous le principe de base tout en précisant que les cyclotrons actuels proposent par rapport à cela des améliorations et des variantes plus ou moins sophistiquées. (N.B.: On trouvera une approche plus complète et plus pointue du cyclotron dans le sujet "radiothérapie", Ch.III.C)
a.Description
Au départ il faut imaginer une boîte métallique ronde et plate qu'on aurait coupée selon un diamètre pour ensuite en écarter légèrement l'une de l'autre les deux moitiés. La forme de ces deux parties est une demi-lune mais évoque aussi la lettre D, ce pourquoi on les appelle les dés. Les dés sont plongés dans le vide, comme tout appareil où doivent évoluer librement des particules, qu'il s'agisse d'un tube à rayons X ou d'un ancien tube TV. Ils se voient aussi imposer un puissant champ magnétique généré par des aimants situés de part et d'autre, qui consistent soit en des aimants permanents soit en des électro-aimants supraconducteurs, et qui font d'un cyclotron une machine pesante! Au centre du système se trouve la source d'ions, c'est-à-dire un dispositif où on amène un gaz qui, grâce à un champ oscillant à la fréquence appropriée, voit ses molécules décomposées en ions soit positifs soit négatifs. Par exemple, pour obtenir un faisceau de protons, on injectera un gaz d'hydrogène dont les molécules H2 seront brisées en protons nus H+ ou en ions H-, le proton gardant pour lui les deux électrons initiaux de liaison.
Les dés sont disposés horizontalement. Dans la figure ci-dessous ils sont vus du haut, le champ magnétique pointe dans l'écran et les ions produits par la source sont censés être des ions H-. Une différence de potentiel générant un champ électrique E et appliquée sur les dés les attire et les accélère une première fois vers le dé positif, et lorsqu'ils pénètrent à l'intérieur de celui-ci le champ magnétique B incurve leur trajectoire, laquelle prend la forme d'un demi-cercle. Pendant ce temps ils ne ressentent plus l'action du champ électrique, étant donné que les dés forment une cage de Faraday.
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La trajectoire circulaire d'un ion de masse m a un rayon r donné par l'équation de Newton F=ma, où F est ici la force magnétique sur une charge q de vitesse v, F=qvB, et où l'accélération est l'accélération centripète a=v²/r:
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Lorsqu'après un demi-tour les ions se présentent à nouveau dans l'intervalle entre les deux dés, la polarité a été inversée, de sorte qu'ils reçoivent à nouveau une nouvelle poussée accélératrice. La loi de base est ici aussi F=ma, avec F=qE=qVd où V est la différence de potentiel imposée et d la distance entre les dés. Quand ils atteignent l'autre dé, leur vitesse est augmentée de Δv=(ad)1/2 (loi de cinématique), de sorte que la trajectoire demi-circulaire qu'ils entament a un rayon r plus grand que le précédent, conformément à la formule ci-dessus selon laquelle le rayon augmente proportionnellement à la vitesse. A la suite de ce nouveau demi-cercle la polarité des dés est de nouveau inversée, d’où une nouvelle accélération, une nouvelle trajectoire semi-circulaire de rayon plus grand, et ainsi de suite. La figure qui suit évoque… très schématiquement (!) le processus.
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En cinématique de la rotation, la vitesse tangentielle v est égale à la vitesse angulaire ω multipliée par le rayon r. On a donc:
La fréquence d'oscillation du champ électrique doit être double de la fréquence de rotation des ions, ce qui donne:
Pour les machines où les protons restent non relativistes, donc d'énergie maximum égale à quelques MeV ou quelques dizaines de MeV, cette fréquence est une constante sur tout le processus d'accélération jusqu'à l'extraction hors de la machine. Pour les machines plus puissantes, où les protons peuvent atteindre des valeurs relativistes, la masse augmente progressivement et dès lors la fréquence du champ doit être adaptée tout au long de la trajectoire. Cela en fait des systèmes plus sophistiqués (synchrocyclotrons) que nous ne décrirons pas ici.
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Arrivés à la périphérie de la machine, les ions doivent être extraits pour former le faisceau utile. S'il s'agit d'ions positifs d'énergie pas trop élevée on peut disposer à la sortie une électrode dite de déflexion, chargée négativement et qui redresse la trajectoire vers l'extérieur. Pour des ions négatifs, le principe est simple et fonctionne à toute énergie: Il s'agit de faire passer le faisceau au travers d'un fine feuille de matière, le "stripper", constitué par exemple de carbone, dont l'effet est d'arracher les électrons au passage. Les ions négatifs se réduisent à des protons nus positifs, la courbure de la trajectoire due au champ magnétique change brutalement de signe, ce qui oriente les particules vers l'extérieur.
b.Réactions nucléaires
Une fois extraits du cyclotron le faisceau est dirigé vers la cible au travers de tubes où on a fait le vide. Les ions projectiles heurtent les atomes cibles avec une énergie suffisante que pour vaincre la répulsion coulombienne et atteindre le noyau. Il se produit alors une réaction nucléaire dont le résultat est le plus souvent un noyau autre. Les physiciens ont depuis longtemps appris la manière de produire par ce moyen un grand nombre d'isotopes, en choisissant le matériau cible, ainsi que le type et l'énergie des projectiles. Par exemple, le fluor-18, très utilisé en PET-scan, provient d'une réaction d'échange proton-neutron obtenue en bombardant avec des protons de l'oxygène-18, noyau stable.
L'envoi de protons sur du zinc-68 provoque l'éjection de deux neutrons, ce qui donne du gallium-67, très utilisé également.
Il arrive que le noyau recherché soit le résultat de la désintégration radioactive du noyau produit par réaction nucléaire. Ainsi l'iode-123 est le noyau fils par capture électronique du xénon-123, obtenu en bombardant de l'iode-127, stable, avec des protons.
Le proton n'est pas le seul noyau utilisé comme projectile. Le deutérium et l'hélium-4 (particule alpha), et s'il le faut des noyaux plus lourds, peuvent aussi être accélérés par cyclotron.
Comme on le voit dans les exemples qui précèdent, les réactions nucléaires provoquent souvent le départ d'un ou de plusieurs neutrons, laissant comme noyau résiduel un isotope qui se désintègre par émission de positron ou par capture électronique. De ce point de vue l'usage d'un cyclotron apparaît très complémentaire de celui d'un réacteur nucléaire, qui tend plutôt, comme on va le voir, à former des émetteurs bêta-moins.
2)Réacteur nucléaire.
a.Fission spontanée
La fission spontanée est un phénomène rare mais particulièrement intéressant (voir "physique nucléaire" §III.A.1.e). Il est le fait de certains noyaux très lourds qui se désintègrent en se brisant en deux gros morceaux et en quelques neutrons libres qui se voient projetés dans le voisinage, le tout s'accompagnant d'un important dégagement d'énergie. Le point est que dans son parcours chacun de ces neutrons libres peut rencontrer un nouveau noyau fissile et lui imposer une nouvelle désintégration du même type, laquelle va produire des neutrons… qui auront le même effet. La réaction en chaîne qui s'en suit se développera avec pour seule limite l'abondance de noyaux fissiles. Si ceux-ci sont peu nombreux ou cantonnés dans un volume faible, la chaîne s'arrêtera. S'ils sont abondants et forment un volume important, rien ne pourra limiter la production d'énergie générée. C'est le principe de la bombe atomique dans sa version incontrôlée, et le principe du réacteur nucléaire dans son option maîtrisée.
Le matériau fissile le plus utilisé est l'uranium-235, présent dans l'uranium naturel à raison de 0,7% seulement (L'uranium naturel est composé principalement d'uranium-238). Pour être utilisable, cette proportion doit être portée à quelques pourcents pour les applications civiles (production d'énergie), beaucoup plus (85 à 95%) pour les applications militaires. On ne s'intéressera ici qu'aux seules applications civilisées, à savoir les premières, développées au travers des réacteurs nucléaires.
Un réacteur nucléaire s'attache à la fois à favoriser la réaction en chaîne et à en contrôler le développement. Les neutrons lents, dits "neutrons thermiques", ont une probabilité beaucoup plus élevée d'induire une fission que les neutrons rapides. Le cœur d'un réacteur nucléaire sera dès lors composé de barres de matériau fissile, le combustible contenant l'uranium-235, plongées dans un milieu modérateur, efficace pour ralentir les neutrons. Par principe, il doit s'agir d'un matériau léger, le plus souvent de l'eau, mais parfois de l'eau lourde D2O (H2O où les hydrogènes sont des deutériums 2H11, ou D) ou du graphite. Pour contrôler la réaction on insère entre les barres de combustible d'autres barres, mobiles quant à elles, faites d'un élément très absorbant pour les neutrons, comme le cadmium, le bore ou l'indium. Quand ces barres ont enfoncées en profondeur dans le cœur, la réaction en chaîne est pratiquement neutralisée, le nombre de neutrons susceptibles de l'alimenter étant trop faible. En les faisant remonter de manière progressive on peut alors laisser se développer, mais de manière très contrôlée, le processus nucléaire.
b.Isotopes produits par fission.
Les réacteurs des centrales électriques nucléaires sont destinés à produire de la chaleur en abondance dans le but de générer, par exemple, de la vapeur d'eau à pression élevée, capable de faire tourner des turbines. Il s'agit là d'installations de haute puissance, grandes consommatrices d'espace et d'eau maritime ou de rivière.
La production d'isotopes à usage médical se fait dans des réacteurs dédiés plus réduits en taille et en puissance. Ils répondent au schéma ci-dessus mais ils sont conçus de façon à pouvoir insérer dans le cœur les matériaux cibles à irradier. Le matériau-cible le plus utilisé est en fait… de l'uranium-235. Exposés au flux de neutrons, un grand nombre de noyaux 235U subissent la fission spontanée et produisent ainsi différents noyaux de taille intermédiaire dont certains intéressent beaucoup la médecine, comme le molybdène-99 ou l'iode-131.
Ces produits sont extraits de la cible par des procédés chimiques qui laissent au final des substances de haute activité spécifique. Provenant de noyaux très lourds, les isotopes radioactifs ainsi obtenus présentent très souvent un excès de neutrons et sont donc essentiellement émetteurs bêta-moins.
c.Isotopes produits par activation neutronique.
Le matériau cible peut être fait aussi d'éléments plus légers et parfaitement stables. Ce qu'on exploite dans ce cas c'est la production d'isotopes instables obtenus par réactions nucléaires induites par les neutrons. Il peut s'agir de réactions d'échange (n,p) ou (n,α), où le neutron est absorbé par le noyau mais éjecte soit un proton soit une particule alpha. Le plus souvent cependant il s'agit de capture radiative (n,γ): Le neutron est absorbé pour former un nouveau noyau dans un état de haute énergie, lequel retombera vers le niveau fondamental par émission d'un photon. Ici aussi le résultat est presque toujours un émetteur bêta-moins pour cause de neutron supplémentaire.
Le problème de la capture radiative est que le noyau fils ne peut être extrait chimiquement puisque ce type de réaction ne change pas le nombre de protons et ne produit donc qu'un isotope de l'élément formant la cible. Le traitement final ne produit donc souvent que des échantillons de basse activité spécifique, mais néanmoins parfois intéressants pour la médecine comme dans le cas du phosphore-32, obtenu par réaction (n,γ) sur le phosphore-31. Dans certains cas le produit de l'activation neutronique a un temps de vie assez court et fournit par désintégration bêta un isotope chimiquement différent de la cible, ce qui facilite l'extraction.
3)Générateur d'isotopes
Les isotopes utilisés en médecine nucléaire ont idéalement un temps de vie de quelques heures, étant entendu que parfois cela se ramène à quelques dizaines de minutes ou se prolonge à un jour ou deux. Dans tous les cas il y a un problème d'approvisionnement puisque des livraisons quotidiennes en matériau radioactif représentent une servitude lourde. Quand l'isotope en question descend d'un noyau père de période plus longue, la solution consiste à se faire livrer ce dernier et à extraire au jour le jour le produit des désintégrations. L'exemple type est celui du technétium-99, dont la période de 6h est telle qu'en 24h son activité se voit réduite d'un facteur 16. Or cet isotope provient par désintégration β du molybdène-99, dont le temps de demi-vie est environ onze fois plus long (67h), ce qui permet d'envisager des commandes sur une fréquence hebdomadaire plutôt que quotidienne.
Un générateur d'isotope est un appareil au coût raisonnable (!) qui permet de stocker le noyau radioactif père et d'extraire de manière simple et au jour le jour l'isotope utile. Outre l'exemple mentionné ci-dessus, on peut mentionner les générateurs qui exploitent les filiations 69Ge (271j) vers 68Ga (6,5h) et 82St (26j) vers 82Rb (7,5min).
a.Filiation radioactive.
Les aspects mathématiques de la filiation radioactive sont exposés dans le sujet "physique nucléaire", §III.B.3. Si λ1 et λ2 représentent les taux de désintégration du radionucléide père et du radionucléide fils, leurs activités respectives sont données par:
A1 suit une courbe très classique au départ du nombre de noyaux initial N10. Il n'en va pas de même pour A2 qui croît depuis zéro jusqu'à un maximum, pour ensuite décroître au même rythme que A1, tout en lui restant légèrement supérieur (ceci dans le cas qui nous intéresse ici, à savoir λ2>>λ1).
N.B.: En nombre de noyaux, on obtiendrait des allures identiques mais des amplitudes très différentes. La courbe du noyau fils se verrait réduite d'un facteur λ2/λ1, ce qui donnerait un facteur 11 dans le cas du nombre de noyaux technétium comparé au nombre de noyaux molybdène.
Le graphe ci-dessus est un graphe idéal, celui qu'on obtiendrait en laissant aller les choses sans intervention extérieure. En pratique bien sûr de l'activité fille est régulièrement prélevée pour usage, auquel cas la courbe correspondante chute brutalement pour recommencer à croître selon le même schéma que ci-dessus. C'est cette régénérescence liée à l'activité A1, plus lente, qui fait l'intérêt du générateur.
N.B.: L'exemple ci-dessus reprend de façon réaliste les temps de vie des noyaux 99Mo et 99mTc, et représente arbitrairement des prélèvements quotidiens. A noter que la désintégration du molybdène ne donne pas toujours l'état métastable du technétium mais aboutit parfois directement à l'état fondamental. Cela a été pris en compte dans le graphe ci-dessus, raison pour laquelle l'activité Tc reste légèrement inférieure à l'activité Mo.
b.Elution.
Sous réserve de toute variante et amélioration possible (écrit en 2012), un générateur à technétium se présente typiquement comme suit:
Le molybdène-99 est livré dans une petite colonne scellée dans un conteneur de plomb aux parois épaisses. L'activité initiale peut monter jusqu'à 100GBq (environ 3Ci) ou plus mais dépend bien sûr des besoins du service. La forme chimique est celle du molybdate d'ammonium NH4+(MoO4-), où le Mo devient Tcm lorsqu'il y a désintégration radioactive.
Une solution saline NaCl est injectée par pression d'air au travers de la colonne. Au passage, les ions de chlore peuvent se voir remplacés par des ions TcO4-, à l'exclusion du MoO4- (La sélection vient en fait d'une section d'alumine, située dans la colonne à la suite du molybdène, et qui a la propriété d'adsorber le MoO4- mais pas le TcO4-). Le produit de l'élution poursuit sa route vers l'extérieur du conteneur, où il est récolté pour usage dans une éprouvette blindée.