Radiologie conventionnelle |
Chapitre III: Le tube à rayons X |
III.B.Eléments constitutifs.
(N.B.: Le tube décrit ci-dessous sera compris par défaut comme étant un tube à anode tournante. En fin de paragraphe nous signalerons ce qui est particulier au tube à anode fixe et au tube Straton™)
1)Ampoule de verre.
Les tubes électroniques sont nés avec le vingtième siècle et se sont développés et multipliés jusque dans les années cinquante. Vénérables ancêtres des composants actuels, lents au départ, grands dissipateurs de chaleur, il faut les considérer avec respect car leur descendance compose les circuits d'aujourd'hui, autrement plus performants il est vrai en rapidité et efficacité.
Les tubes électroniques comportaient, dans une ampoule de verre, une cathode, une anode,… et des accessoires (grilles,…), le rôle de chaque tube étant précisément défini par la nature des accessoires (diode, triode, …). La percée du silicium dans les années soixante et les circuits intégrés dans les années septante ont éliminés la plupart de ces ancêtres. Le tube cathodique a fait de la résistance pendant très longtemps comme tube TV et moniteur d'ordinateur, mais il a dû céder le pas aux écrans plats LCD ou plasma, en même temps que le tube caméra se retirait face au "tout numérique". En somme le tube à rayons X est l'un des tout derniers survivants d'une grande époque.
L'utilisation du verre a t-elle une raison d'être autre qu'historique? Il nous apparaîtra que la réponse est évidemment positive quand nous verrons que le principal mode d'évacuation de la chaleur d'anode est le rayonnement thermique, qui doit pouvoir sortir de l'ampoule pour être absorbé par un bain d'huile dans lequel elle est plongée. Cela suppose une paroi transparente à l'infrarouge, donc du verre. En ce qui concerne les rayons X, les métaux légers conviendraient tout aussi bien puisqu'ils sont quasi transparents aux photons de haute énergie. (Une enveloppe métallique est utilisée pour certains tubes de basse puissance ou pour le tube StratonTM qui ne connaît pas le même problème de chaleur).
Le verre doit évidemment être étanche et résistant aux températures très élevées. Comme l'ampoule a un volume appréciable et qu'on y impose un vide poussé afin que les électrons ne soient pas gênés dans leur progression, la paroi est épaisse, comme l'est celle des tubes cathodiques pour les mêmes raisons. La tension de claquage doit être supérieure aux très hautes différences de potentiel utilisées. Les éventuelles défaillances du verre soumis à ces conditions extrêmes sont l'une des causes de mort des tubes à rayons X.
2)La cathode.
a) Le filament.
La cathode est un filament parcouru par un courant électrique, le courant de chauffage Ic, qui par effet Joule le porte à haute température. Aux températures atteintes, supérieures à 2000°, certains électrons libres parviennent à s'extraire du métal de sorte que le fil se voit entouré d'un nuage d'électrons, ou "charge d'espace". Il s'agit là d'un phénomène thermo-ionique parfois appelé effet Edison. Ce sont ces électrons présents dans le vide qui obéiront facilement à la différence de potentiel qu'on leur imposera et qui seront accélérés vers l'anode.
Le filament est fait de tungstène, comme le filament des lampes domestiques, car ce métal possède un point de fusion très élevé (3400°). On y ajoute une faible proportion de thorium, qui favorise l'effet thermo-ionique et prolonge la vie du tout.
Le nombre d'électrons extraits du filament augmente avec la température de celui-ci et donc avec le courant de chauffage: C'est l'un des paramètres le plus directement accessible à l'opérateur, celui qui définit le courant tube. Donc s'il est vrai qu'il ne faut pas confondre le courant tube i et le courant de chauffage Ic, il est vrai également que le premier dépend directement du second. Le lien entre les deux est visualisé dans le graphe ci-dessous. On notera que la loi n'est pas linéaire et qu'il faut quelques ampères de chauffage pour obtenir quelques dixièmes d'ampère dans le tube.
On constate aussi, ce qui n'est pas évident et ce qu'il est bon de savoir, que le courant tube augment avec la tension d'accélération. Ceci provient d'une caractéristique subtile de l'effet thermo-ionique: Dans le nuage qui entoure le filament les électrons extérieurs font écran pour les électrons intérieurs vis-à-vis du potentiel positif de l'anode. En quelque sorte ils repoussent les électrons intérieurs vers le filament, ce qui s'oppose à l'effet recherché. Il est clair que plus élevé est le potentiel d'accélération, plus efficacement il s'oppose à cette tendance, ce qui explique l'allure observée. Toutefois, pour des tensions plus faibles, à savoir 40 kV et en dessous, c'est une véritable limitation en courant qui apparaît: Pour une production d'électrons abondantes, le potentiel d'accélération ne parvient plus à atteindre les couches internes du nuage, de sorte que le courant tube sature à une valeur constante, quel que soit le courant de chauffage.
b)Coupelle de focalisation.
Le filament est logé au creux d'une pièce métallique en forme de demi cylindre. Cette pièce est portée au même potentiel que la cathode, répulsif donc pour les électrons, ou parfois même à un potentiel légèrement plus négatif. L'effet de cette coupelle est de modeler les trajectoires des électrons et en définitive de les assembler en un faisceau plus ou moins compact.
Le spot final, à l'impact sur l'anode, verra sa largeur définie par cet effet de focalisation latérale imposée par la coupelle. Par contre la hauteur de spot sera définie par la longueur du filament.
c) Tubes à double foyer.
Certains tubes sont équipés de deux filaments de longueurs différentes. Le filament court génère un spot de petite taille au niveau de l'anode, alors que le filament long génère un spot plus large. Le choix entre "petit foyer" et "gros foyer" dépend du cliché anatomique qu'on souhaite prendre.
3)Anode tournante.
a) Forme et composition.
L'anode est soumise à des chocs thermiques brutaux et répétés. Localement, à l'impact des électrons, la température atteint des niveaux élevés. La conception des anodes tournantes vise à gérer au mieux ces contraintes thermiques, tout en ajoutant il est vrai des contraintes mécaniques dues aux grandes vitesses de rotation (3000 à 9000 tours/min)
Montée sur l'axe de rotation, la base de l'anode est une pièce métallique massive taillée en biseau à sa périphérie, là où se trouve le foyer. L'importance du biseau définit la pente d'anode. La piste du foyer est un anneau métallique dont la composition est différente de celle de la base et qui est serti dans celle-ci. C'est sur la piste que se maintient l'impact du faisceau au cours de la rotation. Le diamètre de la base varie de 7cm à 12cm selon le modèle et le fabricant.
La piste doit être telle qu'elle favorise la production de rayons X et qu'elle puisse encaisser l'apport de chaleur très intense et très localisé au niveau du foyer. Il s'agit souvent d'un alliage W-Re de tungstène et de rhénium. Le tungstène a un Z élevé (Z=74), ce qui donne un bon rendement de production des rayons X, mais il a aussi un point de fusion élevé (3400°C), ce qui n'est pas le cas de métaux plus lourds (le plomb a un Z=82 mais il fond …à 328°C!)1 L'alliage avec le rhénium améliore la résistance mécanique de la piste, et rencontre en particulier le problème de la cratérisation que nous décrirons plus loin.
On relèvera le cas très particulier de la mammographie qui privilégie des pistes en molybdène de façon à exploiter le rayonnement d'émission caractéristique de ce métal.
La base doit avant tout être de haute capacité calorifique, de façon à pouvoir stocker un maximum de chaleur. On utilise souvent du molybdène ou du graphite.
b) Le foyer
Le foyer réel est la petite surface qui supporte l'impact des électrons et qui de ce fait est aussi la source du faisceau de rayons X. Ces deux aspects sont conflictuels puisque la grande quantité de chaleur apportée par les électrons demanderait à être répartie sur une surface plutôt grande alors que la grande qualité d'une source X est d'être la plus fine possible pour des questions évidentes de résolution. C'est ce conflit que rencontrent en partie la géométrie et la dynamique de l'anode.
Le foyer réel a une forme rectangulaire de largeur "a" définie par la focalisation imposée par la coupelle de cathode, et de hauteur "b" définie par la longueur du filament de cathode projetée selon la pente d'anode. Le foyer optique est ce foyer tel que vu en perspective dans la direction d'émission des rayons X. Sa largeur est encore "a" mais sa hauteur vaut bsinα, où α est la pente d'anode. Souvent le fabricant s'arrange pour que le foyer optique ait une forme carrée et que donc bsinα=a. Si ce n'est pas le cas le foyer garde un aspect rectangulaire. Dans le schéma ci-dessous, les surfaces des foyers sont redressées à angle droit par rapport à leur projection réelle.
c) Champ d'émission.
Le champ d'émission est la fenêtre angulaire dans laquelle sont émis les rayons X
Quand on parcourt le champ d'émission, la forme projetée du foyer optique varie considérablement. Si on s'écarte latéralement il prend la forme de plus en plus accentuée d'un parallélogramme. Si on se déplace en azimut, il s'agrandit en direction de la cathode et se rétrécit fortement quand on s'approche de l'ombre d'anode (songeons par exemple à l'horloge d'une tour observée loin de la tour ou du pied de celle-ci).
Des considérations similaires expliquent l'effet talon, caractérisé par une perte d'intensité du faisceau du côté anode du champ d'émission. Ceci vient de ce que les photons émis dans des directions proches de la pente ont des trajets de sortie en moyenne plus élevés que les autres et que donc ils sont absorbés en plus grand nombre.
d) Pente d'anode.
Comme vu ci-dessus (§b), le rapport des surfaces entre le foyer réel et le foyer optique est lié au sinus de la pente d'anode. On a là un bon paramètre de compromis entre des surfaces d'impact convenables qui permettent de bien répartir la chaleur et des foyers d'émission relativement fins. Pour 20° de pente le rapport est de 1 à 3. Pour 10° de pente il est de 1 à 6. On voit là que plus la pente est faible plus on peut monter en puissance tube tout en gardant un foyer fin.
L'inconvénient de pentes faibles vient de l'ombre d'anode qui devient vraiment importante aux petits angles. Cela empêche la couverture de films de grande taille mais reste convenable pour des applications importantes comme la scopie puisque l'ouverture d'un amplificateur de brillance n'est jamais fort élevée (typiquement 20 à 30 cm de diamètre).
e) Diamètre de la piste.
Le fait de faire tourner l'anode trouve ici son principal avantage: Un élément de la piste heurté par le spot d'électrons s'échauffe pendant le temps d'exposition puis se refroidit le temps d'une rotation. Si on note K le rapport entre le temps de refroidissement et le temps d'échauffement, alors K peut être vu aussi comme le rapport entre le périmètre de la piste et la largeur du foyer.
Pour une taille donnée du foyer, ce rapport est bien sûr d'autant meilleur que le diamètre de la piste est large. Des valeurs typiques donneraient D≈10cm et a≈1mm, soit un facteur K=300. Il est peut-être bon de souligner qu'en fait le temps de refroidissement est indépendant de D puisque tous les points de la base font un tour dans la même période. Par contre un point exposé au foyer passe d'autant plus vite au travers qu'il se trouve loin de l'axe, donc le temps d'échauffement diminue, ce qui permet, si on le souhaite, de monter en puissance sans danger.
Certaines anodes sont biconiques, ce qui leur permet de jouer sur les deux paramètres géométriques de l'anode, la pente et le diamètre. Une première piste de diamètre réduit mais de pente faible propose un foyer fin et donc une résolution élevée. Une deuxième piste plus excentrée mais de pente plus élevée présente un foyer plus gros mais aussi une puissance accrue et une meilleure couverture de zone. Ce genre d'anode suppose bien sûr la présence de deux filaments cathodes (1 et 2 sur le schéma ci-dessous, où les angles ne sont pas représentés de façon réaliste).
f) Vitesse de rotation.
Supposons une vitesse de rotation plutôt basse: Un point de la piste prend un certain temps pour passer au travers du foyer et pendant ce temps la température monte brutalement vers de hautes valeurs. Il effectue ensuite hors foyer un tour complet et la vitesse étant basse la température peut sans problème revenir à un niveau très inférieur, juste avant de subir un nouveau choc thermique, etc… (Courbe bleue ci-dessous). A vitesse plus élevée, il est vrai que la température n'a pas le temps de redescendre beaucoup, mais il est vrai aussi que chaque point de la piste traverse plus vite la zone exposée, de sorte que sa température subit moins de variation (courbe rouge ci-dessous, qui suppose une vitesse trois fois supérieure à la précédente).
Le point intéressant est qu'on peut cette fois accroître la charge sur le tube tout en maintenant la température inférieure aux pointes observées à basse vitesse.
Bien sûr la piste en moyenne reste plus chaude au cours du cycle mais la quantité de chaleur n'est en fait pas le paramètre critique dans les problèmes thermiques, contrairement à la température pour laquelle on doit s'assurer qu'elle ne dépasse pas certaines valeurs, dont bien sûr le point de fusion des matériaux concernés.
La puissance de fonctionnement admissible varie en le carré de la vitesse de rotation. Entre une vitesse de 3000 tours/min et une autre de 9000 tours/min, la puissance peut ainsi être multipliée par un facteur 1,7 (racine de 3), autrement dit augmentée de 70%.
4)Autres types de tube.
a) Tubes à anode fixe.
Les tubes de faible puissance tels qu'on en trouve sur les systèmes portables ou les appareils de dentisterie sont équipés d'une anode fixe. La cathode et le foyer d'anode sont centrés sur l'axe du tube. L'impact du foyer se fait sur une pastille de tungstène sertie sur une base de cuivre. Cette base est fixe donc, elle est massive et se prolonge à l'extérieur du tube de façon a évacuer un maximum de chaleur par conduction. Ce mode de propagation de la chaleur peut effectivement être ici exploité de façon beaucoup plus efficace que dans un tube à anode tournante puisque dans ce dernier cas la partie mobile n'a de contact avec l'axe fixe qu'au travers des roulements à billes. La partie extérieure de l'anode fixe peut d'ailleurs être équipée d'ailettes de refroidissement de façon à accroître le contact avec le fluide extérieur de refroidissement.
b) Le tube Straton™
Le tube Straton™ de la firme Siemens représente un concept tout à fait novateur dont l'avenir (texte écrit en 2012) dira s'il peut supplanter le tube traditionnel.
Ici c'est tout le tube qui tourne sur des paliers forcément extérieurs au tube. L'anode a essentiellement les mêmes caractéristiques que dans un tube classique: Une base massive présentant un biseau en périphérie, là où se trouve la piste en forme d'anneau.
Il est clair que la cathode est centrée sur l'axe puisqu'il n'est pas question de lui imposer une trajectoire circulaire. Autrement dit c'est le faisceau d'électrons qui doit être dévié du filament centré vers le foyer excentré. Ceci est obtenu par l'action d'un champ magnétique généré par des bobines extérieures fixes. On retrouve là un peu le principe utilisé dans les tubes cathodiques pour guider le faisceau d'électrons vers l'écran, la différence étant que dans ce cas les champs magnétiques varient de façon à balayer l'écran alors qu'ici il suffit d'une valeur de champ par tension tube. Sans doute (nous n'avons pas beaucoup de détails à ce jour) la déviation se fait-elle au début de l'accélération, là où les électrons ont encore une vitesse faible et où le champ capable de les dévier ne doit pas être trop intense.
Originalité du système: la possibilité de générer deux foyers différents par simple action sur le champ magnétique de déviation. Il y a là des possibilités intéressantes au niveau des prises de vue multicoupes dans les scanners, ce qui n'est pas le sujet de ce chapitre.
Mais le grand progrès apporté par ce genre de tube est la fait que le dos de l'anode est en contact permanent avec l'extérieur ce qui selon le fabricant résoud définitivement le problème d'évacuation de la chaleur. Nous y reviendrons au §III-D.
1. Les points de fusion indiqués sont les valeurs à pression atmosphérique alors que l'intérieur du tube est soumis à basse pression... mais l'argumentation reste valable.