Tomodensitométrie (scanner) |
Chapitre II: Matériels et méthodes. |
II.B. Rayons X.
1) Source.
On trouvera dans la partie "radiologie conventionnelle" (Ch.III) une description détaillée du tube à rayons X ainsi qu'une évocation des contraintes thermiques élevées liées à un fonctionnement normal. Sur un scanner, le tube est monté de manière telle que son axe soit parallèle à l'axe z, ceci pour des raisons mécaniques mais aussi pour obtenir un faisceau assez homogène sur toute l'ouverture de l'éventail de détection. La puissance peut varier entre 20 et 120kW, pour une tension de 80 à 140kV. La course vers des vitesses de scan élevées suppose en soi une augmentation du courant tube, donc de la puissance, puisque le temps d'exploration d'une région donnée diminue quand la vitesse augmente. Par contre la multiplication des barrettes (voir ci-dessous) va dans l'autre sens puisque cette fois une région donnée est vue plus longtemps. Il semblerait toutefois que les fabricants de multibarrettes exploitent cette innovation dans un sens de diminution du temps de scan plutôt que d'une diminution de la puissance tube, vu que bon nombre d'applications tomographiques apprécient une bonne luminosité. Le mode de fonctionnement en hélice (scanner hélicoïdal: voir plus loin) est plus décisif de ce point de vue: Contrairement au mode séquentiel, où le tube peut refroidir entre deux coupes, le principe est ici de maintenir le fonctionnement en continu jusqu'à exploration complète d'un volume donné, ce qui conduit à des temps de 30 à 60s pour un scan complet. Pour un tube classique à anode tournante, cela suppose une gestion à la baisse de la puissance de fonctionnement sous peine de dépasser la charge admissible. La figure ci-dessous montre comment la puissance-tube doit être adaptée au temps de scan, et ce pour deux foyers de tailles différentes (pour un petit foyer, l'énergie est plus concentrée localement, ce qui entraîne une augmentation plus rapide de la température à l'impact des électrons).
On trouvera également dans la partie "radiologie conventionnelle" (Ch.III.A.4) un aperçu du tube Straton, innovation de la firme Siemens particulièrement adaptée au scanner. Contrairement au tube classique où l'anode seule tourne à l'intérieur de l'enveloppe, c'est ici tout le tube qui tourne, la déviation des électrons étant assurée par un champ magnétique généré par des bobines extérieures. Dans le cas classique, il faut un roulement à billes interne dont la lubrification pose problème ne fut-ce que pour des raisons de dégazage dans un volume censé soumis au vide. Ici on trouve deux roulements à billes, mais externes donc faciles à lubrifier. Surtout, le refroidissement de l'anode, dont la face arrière fait partie de la paroi du tube, s'obtient efficacement par contact avec un flux d'huile continu (Ch.III.D.3), ce qui conduit à une évacuation des calories de 5 à 10 fois plus rapide que dans le cas classique. Par ailleurs le pilotage magnétique du faisceau d'électrons permet de dédoubler facilement le foyer, aussi bien dans le sens de l'éventail que dans la direction z, ce qui sera rappelé au chapitre "résolution" puisque c'est ce paramètre qui est concerné en l'occurrence. Enfin, le Straton a un diamètre réduit à 12cm environ, à comparer aux 20cm typiques d'un tube conventionnel, et une masse réduite en proportion, ce qui n'est pas négligeable au regard de la force centrifuge qu'il subit (Ch.II.A.3)
2) Détection
a. Types de détecteurs
Les détecteurs de type chambre d'ionisation au gaz xénon (voir "radioprotection" Ch.II.A.3) ont connu une certaine préférence dans l'équipement des premiers scanners fan-beams monobarrettes.
Le premier avantage qu'on y voyait était la grande vitesse de migration des charges vers les électrodes, d'où des signaux ramassés dans le temps et donc la possibilité d'atteindre des taux de comptage élevés. Ensuite, les 700 ou 800 éléments de détection de la barrette pouvaient se suivre en un volume unique, donc soumis à une pression de gaz commune. Il en résultait une grande homogénéité en termes de performance, ce qui est important quand on veut discriminer des contrastes faibles entre tissus voisins (Un ensemble de détecteurs qui présentent des variations dans leur réponse à un même signal ne peut voir des variations faibles provenant du champ de vue). Par contre l'efficience de détection d'un détecteur à gaz est par nature plus faible qu'un détecteur solide, malgré le fait qu'on impose une pression élevée pour accroître la quantité de matière placée sur le chemin des rayons X. Surtout, l'avantage d'un volume unique facile à garantir pour un monobarrette ne peut être étendu aux multibarrettes, sous peine de voir des transferts de charge d'une rangée à l'autre ("crosstalk" entre détecteurs), ce qui fut sans doute la raison principale de l'effacement des chambres d'ionisation en scanographie.
Les détecteurs à scintillation ont une efficience de détection supérieure, puisqu'il s'agit de matériaux solides donc compacts, et surtout peuvent être usinés en multibarrettes, ce qui en fait le système aujourd'hui privilégié. Un désavantage pourrait être la présence d'une paroi, ce qui diminue l'angle solide de détection[1].
Un élément de détection est fait d'une couche de scintillateur qui transforme le rayon X en photons lumineux, couplée à une photodiode qui récolte les photons et transforme le signal lumineux en signal électrique (voir "radiologie conventionnelle", Ch.VI.C). L'iodure de césium est un matériau scintillateur de structure cristalline où chaque cristal se présente comme une petite colonne qui fait office de guide de lumière et conduit efficacement les photons vers la photodiode. Très utilisées également, les céramiques de type oxysulfide de gadolinium ont l'avantage de présenter une densité élevée (7,44g/cm3) et une efficience moyenne supérieure.
Les écrans à conversion directe (voir "radiologie conventionnelle", Ch.VI.C), ou "écrans plats", ne sont pas encore très répandus en scanographie mais leur développement futur méritera certainement une attention particulière. On trouve des écrans plats montés sur bras en C pour des applications spécialisées comme l'étude du squelette maxillo-facial, en stomatologie par exemple.
b. Scanners multibarrettes.
C'est le succès du mode de fonctionnement hélicoïdal qui explique dans un premier temps le développement des détecteurs multibarrettes. En mode séquentiel, le tube X a le temps de refroidir entre deux coupes alors qu'en hélicoïdal le fonctionnement est continu et tend à pousser le tube vers ses limites, à tel point qu'au départ le système a dû revoir ses ambitions à la baisse, soit en se contentant d'explorer à courant élevé des volumes réduits, renonçant par là en pratique à reconstruire des coupes autres qu'axiales (coronales, sagittales ou obliques), soit en travaillant sur des volumes importants mais à courant plus faible, donc au détriment de la qualité d'image. La multiplication des rangées de détecteurs a permis l'acquisition simultanée d'un certain nombre de coupes, ce qui réduit d'autant le temps de scan, donc de fonctionnement du tube. La course au nombre de barrettes s'est développée en deux temps, dans les années 90 tout d'abord, qui ont abouti à des machines à 16 rangées, puis dans les années 2000, de manière exponentielle puisqu'on en est arrivé (écrit en 2015) à 320 rangées (…en notant qu'il s'agit là de machines pointues, et que les fabricants proposent toujours à côté de cela des modèles moins coûteux mais qui conviennent bien à la plupart des applications). Il est important toutefois de bien distinguer la notion de nombre de barrettes de la notion de nombre de coupes acquises simultanément, en raison de deux problèmes rencontrés par les scanners multibarrettes, le débit de données d'une part et le problème de cône d'autre part.
Une rangée de 800 éléments de détection disposés en éventail et échantillonnés 1200 fois par seconde génère un million de données par seconde. La multiplication de ce débit par le nombre de coupes prises simultanément explique pourquoi le nombre de coupes fut un temps inférieur au nombre de rangées effectivement disponibles, quitte à regrouper entre eux des éléments voisins en z (le regroupement de détecteurs signifie que leurs signaux de sortie sont additionnés et simulent donc la réponse d'un détecteur unique). Par exemple dans la figure ci-dessous on voit un système à 16 rangées de 1,25mm d'épaisseur en z à regrouper en quatre coupes (4*1,25=5mm au total, ou alors 4*2.5=10mm, 4*3,75=15mm, 4*5=20mm pour des regroupements par 2, 3 ou 4). Les éléments éventuellement inutilisés aux extérieurs sont masqués par la collimation.
Les machines quatre coupes ont dominé les années 90 et les machines 16 coupes le début des années 2000. Depuis, le nombre de barrettes n'a cessé d'augmenter, mais les progrès constants de l'électronique ont été impressionnants eux aussi de sorte que le nombre de coupes proposés a rejoint le nombre de rangées (jusqu'à 320 rangées de 0,5mm et …320 coupes possibles, avec transfert de données à du 25Gb par seconde). A noter une particularité du tube Straton, qui autorise des machines avec des coupes deux fois plus nombreuses et deux fois plus fines en z que les rangées de détecteurs, grâce au principe du foyer volant, foyer qui se déplace rapidement entre deux positions sur l'anode (voir le chapitre "résolution")
L'effet de cône provient de la divergence du faisceau au départ du foyer d'émission. Dans la direction des détecteurs les plus éloignés en z, et pour une rotation du tube dans un même plan axial, deux faisceaux émis à 180° et qui devraient normalement traverser les mêmes tissus ne se recouvrent pas et ne partagent même pas la même coupe. La figure ci-dessous illustre cela… tout en précisant que pour les besoins de la cause l'effet est ici fortement exagéré par des inclinaisons peu réalistes. En réalité, pour une distance foyer-détecteur de 120cm typiquement et une largeur de détection d'une dizaine de cm en z, l'angle maximum est de deux ou trois degrés, et l'effet en non-recouvrement est de l'ordre de quelques pour-cent… suffisant toutefois que pour affecter la qualité de l'image.
L'effet peut être atténué en regroupant les rangées de détecteurs en ensembles plus larges en z, ce qui correspond à des coupes plus épaisses comme le montre la figure ci-dessous… figure à prendre ici aussi au niveau qualitatif (Dans la figure de gauche, l'effet pour des angles réalistes est beaucoup plus faible dans la géométrie mais pas pour la qualité de l'image, et la correction obtenue en augmentant la largeur de détection est meilleure que ce que suggère la partie droite de la figure)
Pour tenir compte du problème, les fabricants ont longtemps proposé des modèles de scanner proposant des largeurs de détection augmentant progressivement vers l'extérieur, laissant à la collimation et au regroupement de détecteurs la gestion des coupes effectivement enregistrées ("adaptative array systems"). La figure ci-dessous montre un ensemble de 24 rangées de détecteurs, dont 16 de 0,75mm situées au centre et 2x4 de 1,5mm situées aux extrémités de part et d'autre. En collimatant sur les 16 rangées internes on obtient 16 coupes de 0,75mm, et en ouvrant la collimation tout en regroupant deux à deux les rangées centrales on obtient 16 coupes de 1,5mm.
Les modèles récents semblent renoncer au principe du "adaptative array" et présentent plutôt des rangées minces et égales sur toute la largeur du système, laissant à l'informatique et aux algorithmes mathématiques le soin de corriger pour l'effet de cône. Il est intéressant de travailler avec des rangées qui présentent en z une largeur inférieure au millimètre, comparable en tout cas à la largeur d'un détecteur en θ dans le sens de l'éventail, parce que cela fournit des éléments d'image, ou voxels, de même taille dans les trois dimensions. Partant de là, l'informatique peut reconstruire à souhait des coupes d'orientation quelconque (coronale, sagittale ou oblique) ou des vues 3D de grande qualité. Un système qui propose des voxels de dimensions égales ou à tout le moins comparables dans les trois dimensions est dit isotrope.
En pratique, un détecteur multibarrettes n'est pas fait de rangées qu'on accole les unes aux autre, mais de blocs matriciels qu'on aligne pour former l'arc de cercle, ou éventail. Par exemple un assemblage de 55 modules de 64x16 détecteurs placés côte à côte permet de construire un système de 64 rangées de 55x16=880 détecteurs. (Figure ci-dessous: un module de 16x16 éléments, non isotrope)
3) Collimation.
Les différents éléments de collimation sont conçus d'une part pour limiter l'ouverture angulaire du faisceau selon z, soit au niveau du patient pour une question de dose soit au niveau de la détection pour définir le champ de vue, et d'autre part pour réduire autant que possible le rayonnement diffusé, synonyme de bruit donc de détérioration en termes de qualité d'image.
L'ouverture angulaire du faisceau selon z est définie par des paires de lames absorbantes fixes ou mobiles. Si le foyer source de rayons X était ponctuel, une paire de lames limiterait rigoureusement le faisceau à l'ouverture imposée. En réalité le foyer présente toujours une certaine extension spatiale, ce qui entraîne la présence d'une zone de pénombre en aval du collimateur et par là une région floue en bordure du faisceau. Par géométrie simple, l'ouverture de la zone de pénombre est d'autant plus réduite que les lames sont éloignées de la source.
Le collimateur qui délimite le volume observé par le détecteur ("field of view" FOV, ou champ de vue) peut être placé au plus près de celui-ci, en aval du patient, ce qui ne laisse que peu de pénombre. Selon les modèles il peut y avoir une paire de lames fixes, qui laisse à découvert toute la largeur de détection, mais il y a surtout une paire mobile qui peut resserrer le champ de vue sur un nombre de barrettes limité. Dans un imageur monobarrette les lames mobiles servaient à définir l'épaisseur de coupe, mais dans un multibarrettes ce paramètre est imposé par la largeur des colonnes de détection, ou des groupes de colonnes dans le cas où on additionne les signaux de plusieurs barrettes voisines. Tout au plus peuvent-elles agir sur les deux couches externes, de part et d'autre de l'ensemble, possibilité souvent exploitée par les systèmes adaptatifs (systèmes où la largeur des barrettes augmente du centre vers la périphérie).
Pour une question de dose il s'agit aussi de resserrer le faisceau en amont du patient, en lui imposant la plus petite ouverture angulaire compatible avec la collimation de détection. Ici aussi il peut y avoir une paire de lames fixes ainsi qu'une paire mobile. Ce collimateur étant forcément proche du foyer source, la zone de pénombre est plus ouverte au niveau du patient qu'au niveau final. Le profil de dose en z est donc plus large que le profil de détection.
Réduire le rayonnement diffusé est l'autre raison d'être de la collimation. La diffusion des rayons provoque l'apparition d'un voile sur l'image, voile de nature à gommer les contrastes faibles et à affaiblir ainsi les performances d'une technique qui peut prétendre sans cela à une haute qualité d'image. La réduction de cette composante de bruit commence dès la source avec l'enveloppe de protection du tube qui ne laisse passer que les rayons X émis dans la bonne direction. Elle se poursuit avec les collimateurs principaux qui contribuent également à cet objectif. Toutefois, toute ouverture de la surface de détection, que ce soit dans le plan transverse le long de l'éventail ou selon l'axe z dans un multibarrette, entraîne une sensibilité accrue aux rayons X provenant de la source principale de diffusion, à savoir la partie du corps du patient exposée au faisceau.
Idéalement, chaque élément de détection doit être entouré de "murs", ou septa faits d'un matériau absorbant comme le tantale ou le tungstène (épaisseur 100µm typiquement). Dans un monobarrette il suffisait de disposer une série de lamelles prolongeant les parois de séparation entre détecteurs. Les multibarrettes ont dû trouver des solutions 2D en ajoutant par exemple des lamelles courant le long des colonnes. L'option actuelle passe plutôt par des grilles adaptées aux matrices de détection évoquées au §2 ci-dessus, somme toute analogues aux grilles anti-diffusantes qu'on trouve en radiologie conventionnelle.
Les lamelles anti-diffusantes doivent être assez profondes afin d'offrir une bonne sélection directionnelle. Cela implique que, malgré la difficulté technique que cela représente, elles doivent être soigneusement orientées vers le foyer source des rayons X primaires car la moindre inclinaison ferait de l'ombre sur le détecteur et diminuerait son angle solide de détection.
[1] Un détecteur est caractérisé par son εω, produit de l'efficience de détection ε et de l'angle solide ω (voir "radioprotection" Ch II.E). Certains auteurs parlent plutôt d'efficience quantique et d'efficience géométrique. Il faut reconnaître que la notion d'efficience géométrique est peut-être plus adaptée ici puisqu'il ne s'agit pas tant d'évaluer l'ouverture d'un détecteur (angle solide), à laquelle on peut donner la valeur qu'on veut, que l'ouverture angulaire perdue par la présence de parois.