Tomodensitométrie (scanner) |
Chapitre II: Matériels et méthodes. |
II.C. Scanner hélicoïdal.
1) Modes d'acquisition.
a. Topogramme
Un topogramme (ou "scout view") est une prise de données à bas courant et de basse résolution effectuée en gardant fixe le carrousel tube-détecteur et en déplaçant la table et le patient sur une certaine distance. Le résultat n'est donc pas fait de coupes transversales mais d'une simple projection de la zone explorée analogue à ce que propose la radiologie conventionnelle. Il s'agit en fait d'un repérage des régions anatomiques visées qui seront ainsi plus efficacement cernées lors des mesures TDM à haute résolution qui suivront cette première étape.
L'angle de projection peut-être choisi assez arbitrairement selon le type d'application. En particulier, une vue latérale de la tête permet, le cas échéant, de choisir l'angle d'inclinaison de la machine qui conviendra le mieux à la morphologie du patient.
b. Acquisition séquentielle
Dans ce mode, le tube est activé une première fois pendant que le carrousel tourne toujours dans le même plan, ce qui permet d'acquérir une première coupe. Tube éteint, la table se déplace ensuite d'un cran puis s'arrête pour permettre l'enregistrement d'un deuxième coupe, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'on ait exploré tout le volume visé. Ce mode, qui a l'avantage de laisser reposer le tube à chaque étape mais le défaut d'être lent, a prévalu pendant les premières années de développement de la technique TDM pour s'effacer ensuite face au mode hélicoïdal, beaucoup plus rapide. Il lui reste quelques applications réservées, par exemple lorsqu'un volume peut être sondé en laissant de larges espaces entre les coupes. Ou encore lorsqu'il s'agit d'exploration dans le temps plus que dans l'espace. C'est le cas par exemple lorsqu'on veut suivre l'évolution d'un bolus et son action progressive sur l'atténuation des rayons X à un endroit donné (TDM dynamique). Ou encore en interventionnel, où la tomographie joue le rôle de la fluoroscopie en radiologie conventionnelle, ce qui suppose bien sûr ici une reconstruction des images en temps réel.
Il est possible (écrit en 2015) que l'acquisition séquentielle connaisse un nouveau départ avec l'augmentation en largeur des multibarrettes, qui peut conduire à l'observation du volume visé en une seule fois ou en deux ou trois étapes, en retrouvant dans ce dernier cas l'avantage d'un tube qui repose entre deux activations.
c. Mode hélicoïdal
En mode hélicoïdal, le tube fonctionne constamment et n'arrête pas de tourner pendant que la table progresse en translation à vitesse constante. Comme le patient bouge par rapport à la machine la méthode génère en principe par nature des artefacts de mouvement bien connus par ailleurs. Si elle a pu prendre son essor en définitive c'est grâce au développement d'algorithmes informatiques pour la reconstruction d'images de coupes transverses au départ de données toutes décalées les unes par rapport aux autres. Ces algorithmes seront décrits ci-dessous.
Le mode hélicoïdal s'est développé dans les années 80 pour s'imposer dans les années 90 et devenir aujourd'hui le mode standard. C'est pourquoi le reste du chapitre lui sera consacré.
2) Scanner hélicoïdal, ou spiralé[1]
a. pitch
Soit d la distance parcourue par la table pendant que le tube effectue une rotation (d est donc ce qu'on appelle le pas de l'hélice, ou pas de vis). Soit ensuite une largeur de collimation, ou largeur de faisceau utile, égale à NL où N est le nombre de coupes et L la largeur d'une colonne de détection, en rappelant que la largeur d'une colonne peut être celle d'une seule barrette de détection ou de plusieurs barrettes dont on additionne les signaux. Alors, le pitch[2], ou facteur de pas, est le rapport de d à NL.
Par exemple, 16 coupes de 0,75mm et une progression de table de 18mm/s donnent p=18/(16*.75)=1.5. La figure suivante situe les paramètres (avec N=4)… tout en représentant l'hélice sous une proportion très éloignée de la réalité (le diamètre de l'hélice est typiquement de 70-80cm alors que NL vaut tout au plus quelques centimètres)
Pour p=1 la table progresse en un tour exactement d'une largeur de collimation, ce qui veut dire que deux faisceaux émis sous le même angle à un tour d'intervalle sont jointifs. C'est la valeur de référence et le mode de travail standard car dans ce cas toute tranche axiale est vue sous tous les angles de 0 à 360° par l'une ou l'autre colonne de détection, ce qui donne un ensemble complet de données. Pour p<1 il y a chevauchement des anneaux, ce qui peut améliorer le rapport signal-bruit mais allonge la mesure et augmente la dose. Des pitchs légèrement inférieurs à l'unité sont utilisés pour améliorer le profil de coupe, ce qui sera développé ci-dessous. Pour p>1 on obtient une hélice étirée, et ce jusqu'à la valeur limite p=2, valeur telle que lorsque la table progresse d'une longueur de collimation la rotation a été ramenée à un demi-tour exactement. Dans ce cas chaque tranche fournit des données dans une fourchette angulaire de 180°, fourchette dont l'orientation varie d'une région à l'autre (on gardera à l'esprit le fait qu'une fourchette de 180° couvre toutes les directions possibles, sous une seule orientation il est vrai, alors qu'un tour de 360° fait intervenir les deux orientations possibles sous chaque direction). Au-delà de p=2 il apparaît des lacunes dans les données, à savoir qu'on trouvera toujours des directions sous lesquelles une tranche particulière n'est pas vue, ce qui pose problème pour la construction de l'image.
La figure ci-dessous illustre les exemples p=1 et p=1,5 pour N=4. La partie gauche montre la position relative en z de la zone collimatée pour quatre demi-tours consécutifs. La partie droite est un graphique des positions angulaires en fonction des positions axiales. On notera que pour p=1 chaque position z est vue sous tous les angles de 0 à 360° par une rangée de détection ou par une autre, alors que pour p=1,5 chaque position z est vue dans une fourchette de 240°, différente d'un z à l'autre.
Le pitch est lié aux paramètres globaux de scan puisque la vitesse de déplacement de la table est égale à d divisé par le temps de rotation trot mais aussi à la largeur totale D du champ de vue divisée par le temps de scan tscan, et que donc:
Normalement D est imposé par la taille de la région à explorer, de sorte que le choix du pitch et le temps global tscan sont liés.
b. Construction des images.
Le déplacement de la table par rapport aux détecteurs devrait en principe induire sur l'image des artefacts de mouvement, ce qu'on évite en reconstruisant par calcul des coupes axiales, ou coupes transverses, telles qu'on en obtiendrait en mode séquentiel… à ceci-près qu'en mode séquentiel la position des coupes est imposée par les arrêts physiques de la table alors qu'une construction par calcul en mode hélicoïdal permet de choisir assez librement le z de l'image.
Les appareils monobarrettes ou à quelques coupes seulement présentaient l'avantage de maintenir le faisceau dans des directions transverses (perpendiculaires à la direction z de progression), ce qui permet l'usage de méthodes d'interpolation assez simples comme la 360°LI ou la 180°LI qui sont décrites ci-dessous. Avec le développement de multibarrettes de plus en plus larges est apparu le problème de cône lié à l'inclinaison des rayons latéraux du faisceau (voir Ch.II.B), ce qui a nécessité des algorithmes de calcul plus complexes comme le ASSR ("advanced single-slice rebinning"). Paradoxalement, le passage d'un mode de calcul à l'autre n'est pas tant lié à la largeur de collimation exprimée en centimètres qu'au nombre de coupes qui la partagent, ce qui s'explique par le fait que des coupes plus larges sont moins sensibles à l'effet de cône (voir Ch.II.B). D'après Kalender et d'autres il semble que l'interpolation simple en z fonctionne bien jusque N=4 et un peu au-delà, que l'ASSR s'impose de N=16 jusque N=64 , et que pour N supérieur à 64 on doive faire appel à des algorithmes plus complexes encore, comme le EPBS ("extended parallel backprojection").
i. Interpolation linéaire en z (360°LI)
Dans les schémas qui suivent, où la position angulaire est donnée en fonction de la position z, une couche est représentée par un simple segment de droite, ce qui ne nuit pas à la généralité du raisonnement. Par ailleurs, dans un premier temps nous nous plaçons dans la cas d'un monobarrette et adoptons la valeur standard de pitch p=1. En 360°LI (interpolation linéaire 360°), la "réponse" au faisceau d'un élément i de détection sous un angle θ est calculée par moyenne pondérée des deux informations vraies obtenues sous ce même angle θ lors du tour précédent (jème tour) et lors du tour suivant (tour j+1). Le poids de chacun des deux termes dépend de la distance entre z et l'endroit qui fournit l'information (plus la distance est grande, plus le poids est faible). C'est sur base de toutes ces projections calculées que l'image est ensuite construite par rétroprojection.
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Exemple 1: z à mi-chemin entre zj et zj+1.
Dans ce cas z-zj=(d/2) et w=0,5, de même que 1-w. Les deux termes ont le même poids et le résultat est la moyenne arithmétique des deux informations.
Exemple 2: z très proche de zj.
On a alors z-zj≈0 donc w≈0 et 1-w≈1. Très logiquement Pj+1 ne pèse pas lourd comparé à Pj.
On vérifiera qu'on obtient l'inverse pour z proche de zj+1.
]
ii. Interpolation linéaire en z (180°LI).
Le problème de la 360°LI est qu'elle a tendance à épaissir les coupes puisque l'information qu'on utilise s'étale sur deux rotations, donc deux largeurs de coupe pour un pitch standard p=1. Or la construction d'une image suppose que toutes les données utilisées proviennent de la même structure anatomique, et la probabilité de tomber sur un changement de structure, source d'artefact, augmente avec la distance de prospection.
Le défaut peut être compensé en admettant que l'information donnée par le faisceau dans deux directions opposées est en fait la même. C'est strictement vrai mathématiquement puisque l'exponentielle d'absorption des rayons X ne dépend pas de l'ordre dans lequel ils traversent les tissus; çà l'est un peu moins physiquement car lors de la traversée du corps le faisceau diverge légèrement, et cette divergence se fait dans un sens ou dans l'autre selon l'orientation du faisceau. Cela suppose aussi définitivement que le faisceau est dans un plan transverse, ce qui ne sera plus vrai pour les multibarrettes trop larges (effet de cône).
En 180°LI, l'interpolation se fait non pas entre deux orientations du faisceau séparées de 360° mais entre deux directions séparées de 180°, ce qui ramène l'information récoltée à une largeur de coupe pour p=1.
[
Ce qui est important est qu'une région donnée soit vue sous tous les angles de 0° à 180° lorsque le tube opère un demi-tour. Or, ce qui précède n'est vrai que pour la zone proche de l'isocentre (axe de rotation du système tube-détecteur). Pour des endroits écartés de l'isocentre la récolte de l'information sur 180° repose sur des détecteurs du fan-beam plus ou moins éloignés du centre, ce qui s'obtient par une rotation du carrousel inférieure ou supérieure à un demi-tour. La partie haute de la figure ci-dessous illustre ce point dans le cas, peu réaliste mais facile à discuter, où l'ouverture du fan-beam serait de 90°. Partant de la position initiale à gauche, on voit que la région B a déjà été balayée sous 180° après une rotation du tube d'un quart de tour seulement (180°-90°, ou de façon générale 180°-φ, où φ est l'ouverture du fan-beam). Pour que la région A soit vue sous toutes les directions dans une fourchette de 180°, il faut attendre trois quarts de tour (180°+90°, ou de façon générale 180°+φ).
La partie basse de la figure montre ce qu'il en est pour des ouvertures inférieures à 90°. Sur le cercle décrit par le tube autour de l'isocentre, le théorème de l'angle inscrit assure que l'angle au centre est le double de l'angle φ d'ouverture du fan-beam (angle inscrit), ce qui permet de vérifier que la rotation doit aller jusqu'à 180°+φ pour une récolte maximum d'information. Le calcul d'interpolation correspondant est parfois noté 180°LI+φ.
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iii. Scan multicoupes et filtre en z.
En multicoupes, utilisant donc un système multibarrettes, c'est l'ensemble des colonnes de détecteurs qui participe à la récolte d'informations sous tous les angles en provenance des différentes régions anatomiques. Pour reconstruire une coupe transverse de coordonnée z, on reconstruit l'information pour un angle θ donné en se basant sur les données obtenues au même angle, au plus près de z, par une colonne de détection ou par une autre.
Contrairement à un monobarrette, un pitch égal à 1 ne convient pas vraiment ici lorsqu'il s'agit de travailler sur 180° en espérant en tirer avantage comme expliqué au paragraphe précédent (récolte de l'information sur une largeur de coupe plutôt que sur deux). En effet, pour un pitch 1 en multicouches, les vues séparées d'un demi-tour se superposent au lieu de s'entrelacer, comme le montre pour N=4 la partie gauche de la figure ci-dessous. Cela se règle en faisant progresser la table, pour une rotation du tube, d'une largeur de collimation moins une largeur de coupe, ce qui veut dire qu'à chaque demi-tour les vues seront décalées d'une demi-coupe, donc entrelacées (partie droite de la figure, où les positions séparées d'un tour se superposent en partie). Ainsi, pour N=4 la table doit progresser de trois largeurs de coupe pour chaque rotation, ce qui donne p=3/4=0,75. Pour N=16 on aurait p=15/16=0,9375!
La discussion qui précède parle de coupes, mais elle doit être vue en termes de largeur de détecteur lorsqu'une coupe est faite de plusieurs colonnes de détecteurs regroupées. Regrouper les signaux avant interpolation supposerait en effet que cette opération se fasse sur des tranches larges, avec un risque élevé d'induire des artefacts, alors que si l'interpolation se fait sur les colonnes de détection, plus étroites, le profil de coupe final est plus proche de la coupe anatomique réelle. Par exemple, si on construit des coupes de 5mm au départ de quatre colonnes de 1,25mm, l'interpolation après regroupement inclurait de l'information provenant de tranches de 5mm de part et d'autre, alors qu'un calcul avant regroupement limiterait le flou à 1,25mm de part et d'autre. On en arrive ainsi à des coupes construites sur base d'un nombre appréciable de données: Pour un angle de vue donné, on tiendra compte des données de toutes les colonnes de détection qui forment la coupe, des données décalées d'un demi-tour si elles sont entrelacées avec les premières, et des données voisines de part et d'autre pour fermer la coupe. On appelle filtre en z l'opération qui consiste à définir la largeur sur laquelle on prend en compte les données et le profil de pondération qu'on leur attribue. La forme du profil de pondération est à priori arbitraire; il peut se présenter typiquement comme un trapèze (figure ci-dessous), ce qui signifie qu'on attribue une importance égale aux informations qui se situent franchement dans la coupe, et qu'on pondère linéairement dans son voisinage immédiat[3].
iv. L'approche ASSR.
Au-delà de quatre coupes l'effet de cône n'est plus négligeable, ce qui oblige à faire appel à des modes de calcul plus complexes, le plus répandu étant l'ASSR (advanced single-slice rebinning). A noter qu'une variante de cet algorithme s'applique aux situations somme toute fréquentes où le portique de l'appareil est incliné ("tilt" de la machine) par rapport à la progression de la table, autrement dit lorsque le mouvement ne se fait pas selon l'axe de l'hélice.
En ASSR on accepte des plans de données qui ne sont pas strictement perpendiculaires à z mais peuvent être inclinés de manière à suivre le mouvement hélicoïdal de la source X. On isole les données formant 180° le long de l'hélice, on recherche le disque plan (en jaune ci-dessous) qui s'ajuste au mieux à cette portion d'hélice, et c'est ce disque plan qui sera pris pour base de la coupe. "Rechercher" le disque plan optimal revient en fait à calculer son orientation dans l'espace (x,y,z).
La méthode est une méthode approchée puisque une portion d'hélice de ce type n'est pas vraiment plane, mais les écarts sont minimes et l'approximation excellente.
v. 64 coupes et plus.
Les algorithmes ASSR s'appliquent typiquement jusqu'à 64 coupes environ, limite au-delà de laquelle il faut passer à des méthodes plus complexes encore, par ailleurs relativement récentes (écrit en 2015) et qu'il est exclus d'évoquer ici. Il semble que les fabricants en proposent de multiples variantes, mais celle qui semble la plus citée aujourd'hui est appelée EPBP, pour "extended parallel backprojection". Elle parvient à généraliser à l'espace à trois dimensions le calcul de rétroprojection bien connu dans l'espace plan. Elle s'applique aussi à la tomodensitométrie du coeur, où il s'agit d'isoler des données liées à une phase particulière du cycle cardiaque.
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Le lecteur intéressé par les mathématiques pointues de la reconstruction des images incluant les effets de cône peut se référer aux articles suivant:
Méthode ASSR de base:
M. Kachelriess et al., "Advanced single-slice rebinning in cone-beam spiral CT", Med. Phys. 27, 754-772 (2000).:
Variante de l'ASSR pour une machine tiltée:
M. Kachelriess et al., "Advanced single-slice rebinning for tilted cone-beam spiral CT", Med. Phys. 28, 1033-1041 (2001).
Méthode EPBP:
M. Kachelriess et al., "Extended parallel backprojection for standard three-dimensional and phase correlated four-dimensional axial and spiral cone-beam CT with arbitrary pitch, arbitrary cone-angle, and 100% dose usage", Med. Phys. 31, 1623-1641 (2004)
]
[1] En français les courbes en spirale d'une part et en hélice d'autre part sont bien distinctes dans le langage. Il semble qu'en anglais le mot "spiral", en plus de ce qu'il désigne normalement, puisse être accepté aussi comme synonyme de l'hélice, ce qui explique le nom donné historiquement aux débuts de ce type de scanner, et qui justifie qu'on l'utilise aussi en français, par transposition. Il faut toutefois constater que l'expression "helical CT" est de plus en plus utilisée dans la littérature, ce qui tend à montrer que les auteurs anglophones eux-mêmes ne sont pas tous heureux de l'appellation initiale.
[2] Certains auteurs parleraient ici de pitch de collimation, par opposition au pitch de détection qui est le rapport de d à la largeur d'une colonne de détection. Le pitch de détection était pertinent pour les monobarrettes mais pour les multibarrettes il s'exprime en valeurs difficilement interprétables.